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Piano : la chute d’un empire

24 juin 2013, 17:19, par Valentin Villenave

Bonjour et merci pour votre commentaire long et argumenté. Je vais tâcher d’y répondre en conséquence...

Je commencerai toutefois par défendre mon billet de 2007 (il date même d’un ou deux ans avant, en fait) : même si je l’avais à l’époque rédigé de façon volontairement lapidaire et peu développée, je le maintiens en tous points. Le problème central que je m’évertue à poser, n’est ni celui de la qualité de l’imitation (une imitation reste une imitation, quand bien même elle serait très sophistiquée), ni celui de la démocratisation (cet argument vole en éclat lorsqu’on constate, comme vous l’avez fait, qu’un clavier électronique revient en fait plus cher qu’un piano — à plus forte raison si l’on prend en compte la durée de vie). C’est celui de la médiatisation du son, qui n’est plus produit immédiatement par l’exécutant mais confié à un dispositif électronique — ce que j’appelle le son en boîte. (Auquel j’ai consacré un article à part entière ; il est d’ailleurs frappant de vous voir apparenter le clavier électronique aux chaînes Hifi, c’est exactement ce que je critique.)

Un clavier synthétique est-il préférable à un piano en ruine ? En gros la condition rédhibitoire pour moi est que toutes les touches et les deux pédales fonctionnent (y compris le retour de touche), que la table d’harmonie ne soit pas fendue et les feutres pas trop usés. N’importe quel piano qui répond à ces critères (c’est quand même le cas de l’immense majorité des pianos) me semble préférable à un clavier électronique ; évidemment il ne sonnera pas de façon idéale, mais c’est justement à partir de là que l’élève peut apprendre à le maîtriser à — littéralement — jouer avec ses défauts et qualités.

Vous avez raison de le souligner, la guitare électrique est devenue l’instrument d’un langage musical à part entière, qui n’a plus rien à voir avec la guitare à proprement parler. C’est un langage (le rock, et apparenté) digne de respect en tant que tel, encore qu’il y aurait beaucoup à dire sur les classes de « guitare électrique », qui n’enseignent (à ce que je peux voir) qu’une technique très appauvrie par rapport à la vraie technique de guitariste, un peu de la même façon que les classes de « chant variété », destinées à s’amuser dans un micro, n’ont rien à voir avec une véritable classe de chant où l’on apprend à placer sa voix (et accessoirement, à ne pas se faire mal). Surfer sur les modes en matière de musiques de consommation (les fameuses « musiques actuelles » qui font frétiller les directeurs de conservatoire branchés) pour proposer un enseignement moins exigeant, moins complet, moins épanouissant culturellement mais plus rentable, ne me semble pas très honnête. Mais sans doute est-ce là un combat d’arrière-garde, comme vous dites.

Que le clavier électronique puisse permettre de travailler à la maison (ou tout au moins, de cultiver un souvenir plus ou moins lointain de l’apprentissage pratiqué une fois par semaine sur le « vrai » piano du ou de la prof), c’est certain. Cela peut aussi, vous avez tout à fait raison, suffire lorsqu’il s’agit simplement d’apprendre ses notes — cependant beaucoup de profs, et c’est mon cas très souvent, considèrent que l’apprentissage des notes ne peut se faire que s’il s’inscrit dans un geste musical, expressif, et qui inclut donc la recherche d’une certaine qualité de toucher. C’est vrai dans beaucoup de cas (Schumann, par exemple ; pour du Czerny je suis moins sûr)... De plus en tant qu’instrumentiste, comme je le souligne dans l’article, le fait de pouvoir de temps en temps jouer ou s’imaginer jouer en secret, sans que personne n’entende, est quelque chose de très agréable. (Personnellement, lorsqu’il m’arrive de me trouver devant un clavier de plastique je n’éprouve même pas le besoin de le brancher. Je préfère que tout se passe dans l’imagination, et le fait d’entendre le son restitué, quelle que soit sa qualité technique, ne pourrait être que décevant.) Toutefois, comme vous le faites observer (j’imagine que vous en avez fait l’expérience), il arrive nécessairement un moment où cela n’est plus suffisant.

Votre conseil est donc à peu près celui que je donne aux parents de mes élèves : s’ils souhaitent que leurs enfants continuent au-delà de la deuxième année, un piano authentique même très peu cher (le mien s’est récemment vendu à 600 euros, et pourtant j’avais travaillé presque tout Rachmaninoff dessus) deviendra nécessaire — et ce d’autant plus en deuxième-troisième année, qui sont d’ordinaire un stade difficile à franchir, propice au découragement pour beaucoup d’élèves. Car n’oubliez pas qu’en tant qu’élève adulte et cultivé ayant eu l’occasion d’apprécier de vrais pianos et de faire la part des choses, vous êtes dans une situation bien différente de la plupart de nos élèves, qui ne peuvent que se contenter des conditions qu’on leur donne. Que lesdites conditions leur soient imposées par leur contexte familial, leur voisinage, leur arrière-plan culturel ou financier, en tout cas ils n’en sont que le jouet passif. C’est pourquoi, contrairement à d’autres collègues, je n’ai jamais refusé un ou une élève qui n’avait pas de piano à la maison, voire pas même de clavier électronique (eh oui, cela arrive) ; mais à moins d’être doté(e) d’une motivation à toute épreuve, ces élèves ne tardent guère à abandonner.

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