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Ce roman n’est pas le mien

16 février 2015, 11:30, par Pascal NDJOCK

Bonjour Valentin, Je suis heureux de lire votre réflexion, je l’ai découverte à tout hasard. Avec moins de profondeur et d’assise conceptuelle que vous, j’ai une approche semblable à la vôtre ; sauf qu’elle est appliquée à mon pays (le Cameroun, où je vis) qui s’est lancé dans une récupération bien triste de ce slogan venu d’ailleurs. Face à la guerre contre le groupe terroriste BOKO HARAM, l’occasion a été idoine pour beaucoup (la majorité ?) de se découvrir anti-charlie en disant : ’’ Je ne suis pas Charlie, je suis Fotokol (du nom d’une ville camerounaise menacée quotidiennement par les attaques du groupe terroriste) ; « Je ne suis pas Charlie, je suis l’armée camerounaise’’, etc. J’ai essayé avec moins de finesse de déconstruire toutes ses postures via ma page facebook. Je vous livre ci-dessous ces 2 réflexions dont l’une que j’intitulais »Charlie et les charlatans’’ a été publiée le 11 janvier et la 2e publiée le 13 fevrier. Vos remarques/critiques me permettront d’enrichir cette réflexion et de la diffuser à plus grande échelle. Merci par avance.

1- CHARLIE ET LES CHARLATANS : (publié le 11 janvier) Il y a urgence d’inscrire Franz Fanon dans les programmes scolaires en Afrique. La colonisation nous a vraiment déstabilisés sur le plan affectif. La conséquence en est que nous souffrons presque systématiquement de troubles obsessionnels compulsifs. En l’occurrence nous sommes obsédés par l’image de l’ancien maître. On se regarde dans la glace et nous voyons sans cesse son spectre qui nous hante et qui nous envahit. Cela s’est vu encore au cours de la semaine qui s’achève. L’envahissement de notre univers mental par le maître a refait surface en prenant pour point d’ancrage les attaques sordides dont la France a été l’objet ces derniers jours. Prétexte suffisant qui a fait émerger toutes sortes de réactions qui se neutralisaient autour de l’équation : « Être ou ne pas Être ? » Une équation philosophique qui nous a une fois de plus plongés dans nos propres contradictions ; celles qui dénotent finalement de notre inventivité boiteuse et notre incapacité à nous considérer nous-mêmes comme des êtres pensants ; pensant par nous-mêmes, et pensant d’abord pour nous-mêmes. Cette semaine, le suivisme moutonier dont nous avons le secret a refait surface et a mis aux prises ceux qui se découvrent être aujourd’hui des « Charlie » - On peut alors voir sur fond noir écrit sur leur mur facebook, twitter, etc, « JE SUIS CHARLIE »- et ceux qui, se redécouvrant anti occidentaux, profitent de l’occasion pour questionner l’attitude –ou même le rôle- de la France face aux malheurs de l’Afrique. Croyant s’opposer au diktat émotionnel venu d’ailleurs, ces derniers ont fini par se livrer à une gymnastique intellectuelle qui réussit à associer dans une même déclaration « L’ETRE » et le « NON ETRE ». En voici quelques uns de ces morceaux choisis qui font concurrence au Cogito Ergo Sum cartésien : « Je ne suis pas Charlie…Je suis Kolofata », « Je ne suis pas Charlie…Je suis Armée Camerounaise », « Je ne suis pas Charlie…Je suis Paul Biya », « Je ne suis pas Charlie…Je suis Khadaffi », etc. Sans donc être « Charlie », ils sont devenus tout : - des pays (« Je suis la Côte d’ivoire ») ; des régions (« Je suis le Nord Cameroun ») ; des héros (« Je suis Um Nyobe »),( « Je suis Gbagbo ») ; avec une pointe d’humour beaucoup en ont profité pour railler quelques personnalités : « Je suis Meva’a Meboutou », en référence à ce bout de choux tomber à la renverse à deux jets de pierres du Président de la République du Cameroun. Cependant ces philosophes d’un jour, qui réussissent le tour de force de mettre Descartes, Rimbaud et Nietzsche dans la même phrase, peinent à réaliser qu’ « être ou ne pas être Charlie » renvoie à deux revers d’une même pièce de monnaie. En refusant d’être Charlie pour déclamer être autre chose, c’est jouer le même jeu que celui auquel on essaye de se désolidariser. Nul doute d’ailleurs que les tenants de cette mode ne tarderont pas à se lasser ; comme beaucoup se sont déjà lassés de plusieurs formules pourtant vieilles seulement de quelques mois. Pensez au ‪#‎bringbackourgirls‬# (et ses dérivés locaux ‪#‎bringbackourlight‬, ‪#‎bringbackIdrissou‬, etc.) ou à la mode de l’Ice Bucket aujourd’hui ; formules déjà tombées en désuétude. Au final, les modalités d’accession de l’Africain à un statut d’être autonome-ment pensant ne seront effectif que lorsque ce dernier cessera d’être éternellement et maladroitement imitatif, pour être préventif, inventif et créatif. Cela passe aussi par des modalités et une temporalité qui prennent des distance avec la mode et le suivisme, des modalités et une temporalité propres aux réalités africaines et débarrassées de tout complexe et de tout charlatanisme. D’où l’urgence de lire et de relire Fanon.

2 - Voici pourquoi JE NE VAIS PAS MARCHER. (publié le 13 février) - En voici le contexte : Une grande marche est prévue le 28 février pour dire NON à BOKO HARAM. Il s’en organise cependant plusieurs autres à travers le pays.

En France il y a eu une seule grande marche, le 11 janvier (tout au plus deux, si l’on prend en compte celle qui a entraîné les Français dans diverses rues de France le 10 janvier 2015). Une marche au cours de laquelle le peuple français dans son immense majorité est sorti massivement pour dire « non à la barbarie », pour dire « Je suis Charlie ». On pouvait le lire non seulement sur les visages affligés, mais aussi sur les pancartes, affiches et autres T-shirt conçus pour l’occasion. Ces derniers (ces T-shirts), pour marquer d’une pierre blanche dans la mémoire collective le caractère détestable des événements qui avaient ébranlé la France ne visaient pas le beau ou le bling bling, ils étaient simplement NOIRS ; des T-shirts noirs et sobres, en signe de deuil. J’insiste sur cette façon noble, humble et modeste de porter le deuil parce que depuis que la « charliphilie » dans sa version tropicale nous a atteint, c’est à un déferlement de « m’as-tu vu » auquel on assiste. Après les « je ne suis pas Charlie , je suis Fotokol », l’on a prolongé le suivisme moutonnier par des comportements qui frisent l’indécence et l’immoralité. En effet, depuis les événements de Charlie Hebdo, depuis la « grande marche » du 11 janvier 2015 à Paris, les Camerounais après s’être découverts tantôt des « Charlie », tantôt des « non Charlie » ont entamé de longues et interminables marches à travers le pays. Elles viennent de partout, de tout le monde. Il s’en organise désormais au moins une toutes les semaines à travers le Sud (le Grand Sud) du pays. Au Cameroun, un nouveau culte a donc pris corps depuis celui du 11 janvier 2015 à Paris. Celui-ci procède de la longue procession à laquelle se livrent désormais les Camerounais dans nos rues, fiers de « marcher », de piétiner et de fouler en toute décontraction des artères qui leur sont habituellement interdites par la puissance publique. Ainsi peut-on voir « sauveteurs », « benskineurs » et autres badauds éprouver un malin plaisir à défier les habituelles interdictions de manifester. Cette fois la cause nationale est plus forte, la compression autoritaire de chaque jour cède le pas un relâchement et à une relaxation qui frise la suspicion. Pour preuve, on les as vus (ces marcheurs) à Ebolowa, à Bafoussam, à Monatelé, à Yaoundé, à Douala, etc. Pour y ajouter une dimension propagandiste, on y a vu des ministres, des préfets, des Gouverneurs, des hauts fonctionnaires, bref tout ce que le Cameroun compte comme prévaricateurs ; toutes présences qui ont fini par ôter toute crédibilité à la sincérité de ces « marcheurs » d’un type nouveau. Pour ma part, tout cela ne m’aurait posé aucune gêne si on y lisait une réelle volonté de se montrer solidaires de ce qui se passe dans l’Extrême Nord de notre pays, si tout cela ne procédait pas d’un « copié » mal « collé ». Ingénieux comme à leur habitude, les Camerounais (pas tous heureusement) ont trouvé en la « marche » un filon, un créneau pour tirer les marrons du feu et capter quelques dividendes symboliques, honorifiques, « gombotique », politique, stratégiques, etc. Tout le monde veut organiser sa marche, créer son T-shirt, etc. Comme des charognards au milieu d’une carcasse, les premières brouilles n’ont pas tardé à voir le jour. C’est le cas du collectif Unis Pour le Cameroun (créé par Thierry Ngogang, Guibaï Gatama, Polycarpe Essomba, etc.) qui est contesté par Patrice Nganang, lui-même concepteur d’un T-shirt dénommé « je suis Donkeng », qui lui (au collectif) dénie toute personnalité juridique. Jaloux, mesquins, hypocrites et envieux comme nous savons l’être, le conflit que mène le Cameroun (et non pas seulement les populations de l’Extrême Nord) à Boko Haram a donné l’occasion de saboter les initiatives des uns pour voir les autres « mieux » organiser les leurs ; l’occasion des « marcheurs » d’ici de mépriser « la marche » de ceux de là-bas. En somme, beaucoup de ses charlots tropicaux, qui hier étaient ou n’étaient pas « Charlie » et qui n’ont découvert Fotokol dans leur géographie mentale que depuis la mobilisation en l’honneur de Charlie Hebdo la jouent tous solo. Mauvais copistes, les marcheurs de Douala, de Yaoundé, de Bafoussam, d’Ebolowa, etc. peinent à réaliser que le confit contre Boko Haram dure depuis de long mois déjà (au moins depuis le mois de mai 2014 lorsque le Président Biya déclara solennellement la guerre à cette secte sans foi ni loi). Mauvais plagieurs, nos « randonneurs » ne sont pas suffisamment ingénieux pour réaliser que la marche pour Charlie fut une parfaite symphonie, savamment orchestrée en temps (10 et 11 janvier- depuis les Français sont passés à autre chose), en lieu (presque toutes les grandes métropoles françaises ont répondu à l’appel le même jour), et en une seule foule qui entendait défendre un seul idéal. Chez nous, comme pour les jours fériés que nous affectionnons tant, nous entendons passer la vie à marcher. Nous avons probablement fini par croire au pouvoir anti terroriste de « la marche ». Nous y croyons comme les enfants croient au père noël, comme l’on croit à Dieu. Nous sommes persuadés qu’un kilomètre à pied à Yaoundé ça use Boko Haram. En concluant cette réflexion, je me pose à moi-même la question que beaucoup ne manqueront pas de me poser : que faire donc ? Quelle attitude adopter ? Pour ma part, je pense que ce n’est pas le nombre de kilomètre parcourus sur les chaussées de Yaoundé et de Douala qui nous fera gagner la lutte contre les intégristes. Ce n’est pas la beauté des gadgets distribués au cours des marches (et pour avoir vu sur internet les T-shirts et les casquettes prévus pour la marche du 28 février prochain, je peux déjà vous dire qu’ils sont beaux et sont d’un blanc scintillant), ni le plaisir de marcher qui nous feront sortir du conflit ou qui nous sensibiliseront davantage sur ledit conflit. Aujourd’hui je suis presque sûr que tous les Camerounais, y compris dans les coins les plus reculés du pays, savent ce que signifie boko haram et quel est son degré de perniciosité. Ce sont donc à des marches, sinon inutiles, du moins « de trop » auxquelles nous assistons. Ce que les Camerounais doivent faire pour soutenir nos soldats et les populations directement affectés par ce conflit, à défaut de collecter victuailles et argent frais, c’est déjà de cesser de croire que Kolofata et Fotokol c’est « loin là-bas » ; nous devons non pas nous rendre solidaires de ces populations mais plutôt nous sentir comme étant nous-mêmes victimes ; nous devons ensuite changer nos comportement au quotidien, car le vrai combat contre boko haram nous invite aussi à tourner le dos « au chacun pour soit » et au « terrorisme » anti patriotique et anti nationaliste auquel nous nous livrons en volant la fortune public, en torpillant le service public, en profitant des failles du système pour s’enrichir de façon illicite, en organisant et en multipliant de pseudo marches, en confondant lutte contre le terrorisme et soutien à Paul Biya, etc. Pour ma part je ne marcherai point ; je me contenterai de bien faire mon travail au quotidien et ce sera ma contribution à la lutte contre Boko Haram. Pascal NDJOCK

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