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Chansons Oulipiennes

mardi 24 décembre 2013, par Valentin.

Ces petits morceaux de musique plus ou moins légère ont été rédigés dans le cadre du spectacle Chant’Oulipo créé en 2012, sur des textes d’auteurs de l’Oulipo.

Voici, regroupées en recueil, quelques chansons originellement rédigées tout au long de l’année 2012 dans le cadre du projet Chant’Oulipo !, un spectacle de Jehanne Carillon mis en scène par Laurent Gutmann (avec notamment la participation d’Olivier Salon et Jean-François Piette).

Certaines des chansons présentées ici ne furent pas retenues pour le spectacle ; inversement, d’autres chansons du spectacle ne figurent pas dans le présent recueil, où je n’ai voulu conserver que les chansons les plus recherchées d’un point de vue formel — ce recueil complète ainsi le cycle des Sardinosaures publié ici-même, mais dans une orientation esthétique différente : tout en appliquant des contraintes formelles rigoureuses, chaque chanson fait explicitement référence à un langage populaire historiquement daté (jazz, variété, etc.).

[Mise à jour février 2015 : Outre les chansons présentées ici, l’on pourra consulter les trois chansons de Mike Solomon qui ne font intervenir aucune contrainte formelle mais restent inoubliables pour d’autres raisons : Les Gnous bleus, Le Colocolo et Milieu du lit.]

La plupart de ces chansons ont donc été créées dans le cadre de ce spectacle à partir d’avril 2013 dans diverses salles. Certaines avaient déjà été représentées dès mars 2012 lors de la soirée « Couplains et Reflets » à la Bibliothèque Nationale de France ; d’autres furent présentées lors du festival Pirouésie en août 2012. Enfin, quelques-unes de ces chansons firent l’objet d’un enregistrement en studio dans le cadre d’une émission sur France-Culture en décembre 2013.

L’enregistrement de mars 2012 est disponible ici (je m’y réfererai ci-dessous en tant que « BnF ») ; l’enregistrement radiophonique de 2013 est disponible ici au format mp3 (je m’y réfèrerai sous l’intitulé « radio »).

Comme à chaque fois que j’utilise des textes « tous droits réservés », ce recueil est ici proposé en une version d’origine et une version entièrement Libre où les paroles ont été remplacées par du pseudo-texte. La première de ces deux versions est couverte par le droit d’auteur des différents écrivains, et ne saurait être utilisée qu’à vos risques et périls. (Quant à l’intérêt de la deuxième version, le lecteur ou la lectrice en sera laissé-e juge...)

Chansons Oulipiennes
Tous droits réservés, divers auteurs — © V. Villenave et M. Solomon pour la mise en musique, 2012.
Chansons Oulipiennes (version Libre)
Licence Art Libre © Valentin Villenave et Mike Solomon, 2012.

Les textes de ces chansons ont été recueillis par Jehanne Carillon et sont dus à plusieurs membres de l’Oulipo ; certains avaient été précédemment publiés en tant que tels, d’autres furent rédigés spécialement pour ce projet. La mise en musique, quant à elle, s’inscrit dans la démarche de l’Oumupo, déjà présenté sur ce site. La partition est éditée avec GNU LilyPond et dans ce qui suit je me référerai fréquemment à son code source.

Description.

Avertissement : comme toujours, les (longues) indications qui suivent ne sont livrées qu’à titre de curiosité, et ne sont pas nécessaires à la compréhension de la partition !

Eu égard à la longueur de ce qui suit, vous pouvez accéder directement aux sections suivantes :

Début
(Hervé Le Tellier.)

[Enregistrement : BnF, 35’20’’.]

[Cliquez pour déplier.]

Une fois n’est pas coutume, la première chanson de ce recueil (tout comme la dernière, que nous verrons plus bas) n’est pas de moi. Cette samba fut mise en musique par mon collègue et ami Mike Solomon, également membre de l’Oumupo.

Mike est parti du texte suivant1 de Hervé Le Tellier, extrait de son excellent recueil de poésie Zindien :

La contrainte mélodique adoptée est extrêmement simple et apparente : la voix reste fixée sur une seule note (ici le la) et ne s’en éloigne qu’une fois toutes les cinq notes — c’est-à-dire en décalage avec la métrique, dans laquelle les croches sont regroupées par groupes de quatre. Solomon se réfère ainsi à la célèbrissime « Samba sur une seule note » (Samba de Uma Nota Só) d’Antonio Carlos Jobim, grand succès des années 1960 (qui relève d’ailleurs plutôt de la bossa nova que de la samba à proprement parler). Le genre est néanmoins subverti puisqu’à la bossa très « cool » (smooth jazz) de Jobim, Solomon substitue ici un débit de mitraillette (délibérément) épuisant pour l’interprète. À la fin de la chanson, le flux verbal s’épuise peu à peu sans ralentir pour autant, d’une façon sobre mais expressive.

La grille harmonique comporte également une contrainte intéressante : alors que le morceau est dans la tonalité de Ré majeur, l’accord de Ré Majeur (l’accord de tonique) n’apparait pas avant la toute dernière croche. Pendant toute la chanson il est soigneusement évité (cadences rompues et évitées), donnant ainsi l’impression d’un discours musical qui tourne en rond — ce qui s’accorde d’ailleurs très avec la façon dont est écrite la mélodie, ainsi que le texte lui-même.

Le prix d’une telle radicalité, tant dans l’écriture mélodique qu’harmonique, réside dans sa nécessaire brièveté : Début est la chanson la plus courte de ce recueil, avec une durée d’une quarantaine de secondes seulement ! La rythmique a à peine le temps de se mettre en place, que le morceau est déjà fini.

À titre personnel, je considère ce morceau comme une réussite irréprochable ; m’y fussé-je attelé moi-même, cette idée de « samba » ne me serait certainement jamais venue. En fait, je découvris le texte de Le Tellier en même temps que mon collègue Mike et il suscita alors en moi une sorte de terreur sacrée : de même qu’en peinture chinoise le blanc du papier a autant de sens que le coup de pinceau qui le traverse, l’expressivité de ce texte réside dans son aspect fragmenté et lacunaire, les nombreux retours à la ligne, l’absence de ponctuation etc. Mike Solomon prend ici le parti (ce que je ne me serais certainement jamais permis) d’ignorer complètement la structuration du texte, pour introduire seulement vers la fin cette dimension hachée et constamment inaboutie — qui n’en est que plus perceptible.

La partition est ici proposée dans sa tonalité d’origine de Ré Majeur (elle fut chantée une tierce majeure plus bas lors du concert à la BnF, à partir de 35 minutes dans la video), avec un accompagnement pour piano réalisé par mes soins, en partie inspiré de ce que faisait Mike lorsqu’il accompagnait lui-même la chanson2.

Charles
(Olivier Salon.)

[Enregistrement : radio, 44’24’’.]

[Cliquez pour déplier.]

À l’automne 2012, alors que les répétitions musicales pour le spectacle Chant’Oulipo étaient déjà largement entamées, je grognai. (Grogner m’arrive souvent.) Il me semblait que notre projet ne suivait pas d’orientation esthétique clairement définie ni cohérente, et que l’essence même de l’Oulipo (et par extension, de l’Oumupo) tendait à disparaitre sous un kaléidoscope de numéros dont la présence ne me semblait pas justifiée. En une tentative (point entièrement fructueuse) de calmer ma grogne, Jehanne Carillon conféra avec le second comédien et pianiste occasionnel de notre spectacle, afin d’ajouter à notre projet des numéros jugés plus authentiquement oulipiens. De cette circonstance naquit Charles, qui est à ce jour l’un des numéros fétiches de notre spectacle, et sans doute celui illustrant le mieux l’écriture sous contraintes, tant littéraires que musicales.

  • Le texte

Olivier Salon — car c’était lui — nous apporta donc le texte suivant :

Je regarde Charles
Je le regarde lentement
Charles est ce gars
Glabre et sans barbe
Les dents blanches
Charles est extra
Franchement extravagant.
Étrange et pâle,
Cérébral et fatal,
Le regard nacré,
Charles me chante des fables
Je ne m’en lasse pas
Charles est calme et savant
Il me narre Carthage,
me parle de Gargamelle
et me passe Ravel.
Charles déclare :
« Passé Le Caravage,
Le berger allemand jappe. »
Je ne me lasse pas
d’entendre le grand Charles
Je ne me lasse pas de Charles
Charles est galant,
Charles est affable
Charles est ce gars à fables
Charles me rend malade.
Charles me prenant par la hanche,
je me mets à danser
Je danse avec Charles
Je danse la valse
Je danse le cha-cha-cha
Et même la java.
Avec Charles, être en retard
N’est pas pensable
car dans ce cas, Charles attend.

Même pour une première ébauche, la contrainte au moins était claire : il s’agissait d’un « bi-vocalisme », les deux seules voyelles autorisées (sauf erreur d’inattention) étant « a » et « e ». La chose me semblait prometteuse d’un point de vue vocal, car de notoriété le « a » est l’ami des cantatrices, il leur permet d’ouvrir grand la bouche et de produire des sons aigus (en théorie jolis).

En revanche, la structure du texte restait assez peu perceptible : pas de stabilité dans la longueur des vers, pas de strophes. De plus, je craignais que le texte ne s’avère trop long une fois mis en musique. Qu’à cela ne tienne — Olivier me renvoya une nouvelle version :

 Je regarde Charles
très lentement.
Charles est ce gars
Glabre et sans barbe
Et les dents blanches.
Étrange et pâle,
Charles est extra,
extravagant.

Cérébral et fatal,
le regard nacré,
Charles me chante des fables,
Je ne m’en lasse pas.
Charles est calme et savant :
Il me narre Carthage,
me parle Gargamelle
et me passe Ravel.

Je ne me lasse pas 
d’entendre le grand Charles
Charles est galant, 
Charles est affable.
Cependant avec Charles, 
être en retard 
n’est pas pensable,
car en ce cas, Charles attend.

Ainsi qu’on le voit, des coupes claires étaient sombrement passées par là. Passant de 35 à 24 vers, Olivier Salon avait sacrifié une large part du texte, privilégiant par ailleurs des vers très courts et de ce fait relativement peu vocaux. Tout en commençant la mise en musique, je me mis en devoir de sauver ce qui pouvait l’être dans le texte d’origine et proposai à Olivier le compromis suivant1 :

Je n’étais pas parvenu à sauver « Je danse avec Charles / Je danse la valse / le cha-cha-cha / et même la java » ; cependant un autre nom de danse m’était venu ; j’indiquai sur la partition le titre suivant :

Charles
 Habanera 
(pas celle de Carmen, cela étant)

Le mal était fait : du titrage de la partition, aux noms des personnages dans notre spectacle (Charles, Thérésa, Bernard et Lama-Serge), nous étions désormais contaminés par le bivocalisme obsessionnel.

  • Écriture mélodique

La contrainte est donc fort simple : chaque syllabe comportant la voyelle a fait monter la voix d’un intervalle disjoint (en général une sixte), la voyelle e fait descendre la voix de même. Comme nous l’avons vu, c’est là la quasi-garantie d’une écriture très vocale, très lyrique.

La mélodie suit une progression harmonique descendante, qui n’est pas sans évoquer, avec sa ligne brisée en sixtes, la célèbre Valse en Ut dièse mineur de Frédéric Chopin (ici transposée en La) :

... ou, dans un autre genre, l’outrageusement soupifiant thème Where Do I Begin ? commis par Francis Lai pour le non-moins outrageusement long métrage Love Story en 1970 :

Bref, la ligne de chant est de caractère romantique, pour le meilleur et pour le pire. L’air de rien, elle présente quand même l’immense avantage de traduire en termes musicaux la contrainte utilisée dans le texte. Le texte inspire la mélodie, et en retour celle-ci rend intelligible la contrainte. Une parfaite concordance.

  • Écriture harmonique

Tous les Georges Bizet du monde vous le diront : pour accompagner une habanera, rien de tel qu’une bonne ligne de basse confortablement assise sur sa quinte.

Mais tous les oumupiens masochistes (car l’oumupisme est un masochisme, tout comme l’existentialisme est un humanisme) de rétorquer : « vraiment ? »

Et si on l’interdisait, cette quinte, purement et simplement ? L‘exercice ainsi pratiqué a été baptisé par votre serviteur Lipovalle, à savoir un intervalle manquant, qui ne peut apparaitre entre deux notes simultanées ni consécutives.

Or donc, la partie de basse de Charles procède de la façon suivante :

Ce sont les mêmes notes que dans Carmen, simplement dans un ordre différent : à re4. la'8 fa'4 la,4 re, se substitue la4. fa'8 re'4 fa, la, (notez au passage que toutes ces notes ne comportent que les voyelles « e » et « a », eh eh eh, ha ha ha) ; les quintes disparaissent, et l’on n’est plus en Ré mineur mais en La mineur — quoiqu’un La mineur sans doute moins « assis ».

Est-ce tout ? Oui. Ou plutôt non : la partition ainsi terminée, Jehanne Carillon suggéra avec le sens de l’à-propos qui la caractérise qu’y fût adjointe une partie de trompette qui lui donnât la réplique (et fournisse des citations un tantinet appuyées : une phrase de Ravel lorsque le texte mentionne Ravel, etc.). Je m’exécutai (non sans grogner in petto), et Jean-François Piette en fait encore des cauchemars aujourd’hui.

Le maki mococo
(Jacques Roubaud.)

[Enregistrement : radio, 3’32’’.]

[Cliquez pour déplier.]

Entendons-nous bien : quelqu’incommensurable puisse être mon besoin de reconnaissance, les cours de piano que je prodigue dans une association de banlieue parisienne n’ont généralement pas vocation à servir à l’auto-célébration de ma carrière de personne-qui-écrit-de-la-musique (carrière du reste brève et peu remplie). Mais il est des jours où, pour des élèves de 9 ans un peu dissipés, la promesse « bosse ton morceau encore vingt minutes et je te montrerai une chanson que j’ai écrite » s’avère d’une efficacité surprenante.

Quelle ne fut donc pas ma surprise (et ma fierté) lorsqu’un de ces jours-là j’attaquai vaillamment « Le maki mococo », pour me voir interrompre d’un « hé, je connais cette poésie, on l’a apprise à l’école ! » Ce qui m’enseigna deux choses : primo, Jacques Roubaud reste une valeur sûre en milieu scolaire — à juste titre — et secondo, quoi qu’on en dise, l’école laisse une trace plus indélébile que les cours de piano.

  • Le texte

Le maki mococo est extrait des Animaux de personne, recueil paru en 1991 et dont la popularité ne s’est jamais démentie depuis. Butiner quelques instants sur le Web m’a conduit sur d’innombrables sites d’écoles et d’écoliers qui, tous, recopient consciencieusement ce poème — graines de salopiauds de pirates qui affament les créateurs, va.

À ma grande surprise, le texte originel de Roubaud comporte deux vers supplémentaires (ici1 indiqués en commentaire) non présents dans la version qu’il communiqua lui-même, vingt ans plus tard, à Jehanne Carillon pour son spectacle. Sans doute s’est-il entretemps penché sur la structure du texte et a-t-il tenté d’équilibrer les premières strophes. Quoiqu’il en soit, une large partie de mon travail sur ledit texte consista précisément à tenter de placer ledites strophes, avec leurs irrégularités, dans des structure rythmiques et métriques fixes, d’une façon qui pût sembler naturelle et expressive.

Comme j’y ai fait allusion plus haut, la mise en musique de texte versifié me pose toujours un problème : faut-il faire entendre les retours à la ligne ? Dans la langue classique, celle des comédies de Corneille, la prosodie se fait entendre d’elle-même ; depuis que de dangereux hooligans ont prétendu « disloquer ce grand niais d’alexandrin », le rythme du vers est bien souvent laissé à l’appréciation de l’interprète, et il faut alors trancher. (Une question subsidiaire : que faire des alexandrins d’Apollinaire qui comportent une diérèse ? Mais je m’éloigne.)

Dans le cas présent, cette question est tout à fait perceptible dans la mise en musique de la phrase suivante : « Le Macaque démasqué / par l’Maki Mococo / prit sa kalachnikoff / acquise à Malakoff / de Pépé le Moko / qu’en canne il maquilla / C’est kif-kif Chicago ». Or la structure rythmique (voir ci-dessous) regroupe les hémistiches deux par deux, ce qui conduit à annuler l’enjambement et à entendre « Pépé le Moko qu’en canne il maquilla » (il maquilla qui ? Pépé, et non la kalach). L’effet est assez peu heureux, mais je dois avouer qu’ici, chose rarissime dans mon écriture, j’ai choisi de sacrifier le sens du texte au sens musical, lequel est ici entièrement dû à la rythmique déjà installée par la chanson. Ce sont des choses qui arrivent : je me souviens d’une interview récente de Stephen Sondheim, auteur que je connais bien, qui explique combien la mise en musique de There’s a place somewhere, dans West Side Story, lui a toujours semblé peu heureuse — réfléchissez-y un instant : le mot mis en valeur est « a », c’est-à-dire précisément le morphème le plus insignifiant dans la phrase (we used to call it « The A Song », blague-t-il). Et pourtant c’est resté l’une des chansons les plus connues et les plus émouvantes du répertoire... comme quoi.

À cette question s’en ajoute une autre (sur laquelle je reviendrai plus bas), qui est celle du débit. Il est généralement admis qu’écouter un opéra (ouverture non comprise) prend sept à huit fois plus de temps qu’il n’en faut pour simplement lire son livret à voix haute ; c’est un travers vérifiable quoique navrant, et contre lequel je m’emploie à lutter — mais : la voix chantée étant souvent, surtout chez les femmes, moins intelligible que la voix parlée, augmenter le débit ne peut se faire qu’au risque de rendre les paroles incompréhensibles.

  • Découpage rythmique

Bref. Pour mettre en musique des vers de 12 syllabes (orthographiés en hexasyllabes, mais personne n’est dupe) avec le minimum de pause, la stratégie la plus évidente était de faire des mesures de 14 croches, soit des mesures à 7/4, la césure tombant exactement au milieu de la mesure — et l’oumupien que je suis frétille d’aise lorsqu’il croise une mesure à 7 temps qui ne soit pas bêtement l’agrégat de trois temps et quatre temps, mais bel et bien l’addition de 3,5 + 3,5 !

La cellule rythmique de base est donc quelque chose de cet ordre-là :

C’est-à-dire que le découpage des croches se présente sous forme (2+2+3) + (3+2+2). Le lecteur attentif n’aura pas remarqué (non sans frétiller d’aise s’il est un tant soit peu oumupien) le chiasme interne. De plus, cette écriture rythmique par « valeurs ajoutées » (pour le dire pompeusement) fait signe vers les langages non-occidentaux, et ce n’est pas totalement innocent s’agissant d’un texte émaillé de signes exotiques (Bamako, Macao, Mexico).

Comme je ne l’ai moi-même réalisé qu’a posteriori, j’ai très probablement rédigé cette chanson avec l’envie inconsciente de me rapprocher des langages musicaux africains, ou en tout cas de la très lointaine et approximative que j’en ai. Le continent africain a donné naissance, ces quarante dernières années, de nombreux groupes de jazz extrêmement intéressants — sans vouloir éviter le nécessaire questionnement des processus d’acculturation, de l’émergence d’inégalités socio-culturelles au sein même des pays déshérités.

  • Réalisation

Le maki mococo fut rédigé en juillet 2012, afin d’être présenté au festival Pirouésie de cette année-là. Puisqu’il était question que nous y jouions avec tout un groupe de musique (batterie, saxophone, guitare, et bien d’autres), j’eus pour ambition de proposer un morceau de vrai bon jazz moderne, c’est-à-dire post-Coltrane. L’influence du jazz africain s’étant ajoutée presque malgré moi, on pourrait presque parler ici d’afro-jazz.

La mesure irrégulière et l’écriture « modale » entrent dans cette esthétique, tout comme les modulations par tierce mineure : de do mineur à la ou mi bémol mineur, avec même le triton fa dièse mineur exactement à la section d’or au milieu du morceau. (L’utilisation exclusive d’accords mineurs et la modulation par cycle de tierces mineures constituent d’ailleurs ici l’opposé du Petit mari que nous verrons plus bas.)

Dans un même ordre d’idées, et nonobstant les questions de débit évoquées plus haut, la partie de chant offre régulièrement des pauses, ménagées pour un éventuel dialogue concertant (par exemple avec le saxophone, ou, dans le spectacle Chant‘Oulipo, avec le mélodica d’Olivier Salon).

Comme la plupart des chansons de ce recueil, le maki mococo se termine intentionnellement à la fin de la dernière mesure — il n’y a donc pas de « retombée » sur le premier temps. La version du spectacle ajoute une retombée sous la forme d’un coup, après « il s’appelle Du — du », de VibraSlap, à savoir la version civilisée (et brevetée, grrrr) de la machoire d’âne (quijada). J’avais l’espoir que la chute de la chanson (c’est-à-dire du texte) se suffise à elle-même ; il semblerait que non.

Dans la présente partition je me suis efforcé de me prendre pour un pianiste de jazz (que je ne suis pas mais parviens à imiter de loin certains jours fastes), pour tenter d’imaginer un accompagnement « idéal » : suffisamment rempli pour se suffire à lui-même (sans besoin de section rythmique ni mélodique), tout en restant subtil (au contraire de beaucoup des arrangements éhontément primaires actuellement utilisés dans le spectacle), libre de toute contingence acoustique (telle que le fait de couvrir la voix) et n’ayant pas besoin de doubler la voix (dont l’écriture rythmique est, faut-il le rappeler, assez sophistiquée). La main droite part dans des solos assez libres, qui n’hésitent pas à se décaler par rapport à la mesure (notamment lorsque je cite fugitivement la comédie musicale Chicago — de bon cœur, puisque personne ne me l’a demandé...). Cette partie de piano n’a donc aucune vocation à servir de modèle, loin de là.

J’ai ouï dire, sans en être surpris, que ce texte de Jacques Roubaud avait déjà fait l’objet de mises en musique. Je ne les connais pas mais cela me permet de conserver, quelque temps encore, l’espoir mesquin d’avoir fait mieux. (Eh oui : on a les fiertés qu’on peut.)

Chanson de l’autobus
(François Caradec.)

[Enregistrement : radio, 18’17’’.]

[Cliquez pour déplier.]

Au début, comme toujours, un texte1 :

  • Le texte

Je connaissais de nom et de réputation François Caradec (né en 1924), poète, écrivain, ’pataphysicien et, de l’avis général, être humain exceptionnel. Ce que j’ignorais en revanche, c’est qu’on ne le voit plus guère aux réunions de l’OuLiPo : depuis le 13 novembre 2008, il en est excusé pour cause de décès.

Dans ce court texte principalement en octosyllabes, Caradec évoque l’un des lieux chers aux Oulipiens historiques : l’autobus, et plus exactement l’actuelle ligne 29, celle qui part de Saint-Lazare et finit à Montempoivre peu après Picpus, celle des Exercices de style. Comme chez Queneau, la présence de l’autobus est signe d’une écriture de la vie urbaine moderne : tout comme le narrateur, le citadin d’aujourd’hui est habitué à "connaître le temps de l’attente" grâce aux écrans à cristaux liquides qui peuplent les arrêts de bus. Et pourtant le reste de la scène n’est guère contemporain : le narrateur ne se rue pas sur son téléphone portable pour prévenir ses collègues de bureau, il ne se tourne pas vers ses compagnons d’infortune pour maudire les salauds de syndicalistes qui causent le retard des bus, il n’est même pas impatient mais simplement résigné. À cette tension entre modernité et nostalgie, s’en ajoutent d’autres : la pluie et l’abri, le groupe et la solitude, l’ici et l’ailleurs, l’attente délimitée mais permanente.

En quelques mots se brosse une saynète à la fois triviale et universelle, naïve et existentielle. (En tout cas est-ce ainsi que ma propre hystérie littéraire me le fait percevoir.)

  • Esthétique

Comme dans beaucoup d’autres chansons du projet Chant’Oulipo, j’ai eu envie de me référer à un langage clairement identifié ; en l’occurrence, celui de la musique des années 1920-1930, et en particulier à un auteur tel que Kurt Weill. Ce n’est pas là une allusion directe à la génération d’avant-guerre dont est issu Caradec (même si le rapprochement peut se faire involontairement), mais plutôt une façon de rejoindre, musicalement, cette poésie de la modernité et le sentiment de nostalgie qu’elle ne peut manquer d’inspirer à l’auditeur contemporain. Je parlais à l’instant de tension, et l’écriture de Weill en est pleine : résolument tourné vers le renouveau et la sophistication des langages artistiques (expressionnisme, dodécaphonisme), il est en même temps constamment ramené vers le monde du théâtre, où son langage doit se faire accessible à des interprètes et des auditeurs peu rompus à la musique atonale.

J’en veux pour exemple la phrase suivante, extraite de la magnifique chanson de Fennimore dans Der Silbersee (1933, sur un texte de Georg Kaiser) :

Si le contexte est indéniablement tonal, observez combien la mélodie et son harmonisation suivent de circonvolutions ; notez combien les bifurcations sont imprévues, en particulier dans les mouvements disjoints, et cependant toujours admirablement mélodieuses et vocales ; voyez combien d’attention est portée à la ligne de basse, procédant par hésitations, glissements chromatiques et renversements insensibles d’accords enrichis. Telle est l’écriture que je souhaitais atteindre en mettant en musique cette chanson, dont j’écrivis assez rapidement une phrase possible :

La petite phrase ci-dessus procède un peu de la même façon, par paliers harmoniques successifs (même si elle se termine par un enchaînement II-V-I très apaisant). Ici également, la mélodie procède par mouvements conjoints et disjoints (en particulier avec des sauts de quartes et quintes), en phrases d’une longueur similaire (quoique d’une écriture bien plus systématique et sans doute moins expressive que celle de Weill). Enfin, la mélodie explore les douze notes de la gamme chromatique, et ne donne chacune qu’une seule fois. C’est ce que l’on pourrait appeler (dans un tout autre contexte) une série, même si elle ne sera pas ici employée en tant que telle.

  • Contrainte mélodique

La phrase ci-dessus me fournissait donc une idée quant à la façon dont la chanson se terminerait (moyennant quelques arrangements rythmiques pour faire oublier ces groupes de quatre notes, en particulier pour éviter que le mot toujours ne soit coupé en deux). Elle m’indiquait également que la construction mélodique, par répartition des douze notes de la gamme chromatique, ne coïnciderait pas avec la prosodie par vers de huit syllabes ; il allait falloir se débrouiller en-dehors du cadre structurel imposé par le texte.

Examinons ce dernier : le poème est composé d’un décasyllabe suivi de neuf octosyllabes, soit dix vers, au milieu desquels un tournant est perceptible (l’embrayeur Aujourd’hui, et l’apparition de la première personne). Soit, pour les cinq premiers vers, un total de 42 syllabes, puis 40 pour la seconde section. Aucun de ces nombres n’est un multiple de douze ; ainsi si l’on veut par exemple faire entendre quatre fois chacune des douze notes du total chromatique, la première partie ne suffit pas, il faut s’étendre jusqu’au six premières syllabes de la seconde partie ("Aujourd’hui j’attends l’au-", qui correspond également au point culminant de la chanson).

Des 40 syllabes de la seconde partie, six ne sont déjà plus disponibles ; il faut également y retrancher les douze dernières qui, on l’a vu, serviront à exposer les douze notes de conclusion (en commençant sur "je m’en contente", qui est paradoxalement une fin de phrase : nous l’avons vu, le découpage structurel ne correspond pas à la répartition mélodique des notes). Reste 22 syllabes, soit de quoi faire entendre deux fois chacune des douze notes... sauf une, qu’il faut donc enlever. Et ce sera, évidemment, la plus difficile à enlever : la tonique (sol).

Récapitulons : le début de la mélodie est écrit librement en piochant dans le stock des douze notes, ou chacun est disponible en quatre exemplaires, la deuxième partie est écrite de même mais chaque note n’est plus disponible qu’en deux exemplaires (sauf le sol qui est temporairement en rupture de stock), et la toute fin est écrite avec seulement les douze notes disponible en un exemplaire unique.

De façon insensible, le langage progresse donc au fil de la chanson, vers plus de rigueur formelle. La contrainte est ici à rapprocher du jeu Oulipien des hétérogrammes, ou de ce que j’ai proposé à l’Oumupo de baptiser Sérialisme détendu, de degré variable. Dans un contexte tonal (où elle prend tout son sens), la contrainte est double : d’un côté par la saturation obligatoire de notes étrangères, souvent difficiles à accomoder de façon "organique", et d’un autre côté par la raréfaction des notes essentielles du discours, telles que la tonique ou la dominante. Les stratégies d’évitement sont ici d’un secours évident, par exemple en ne résolvant pas la note sensible sur la fondamentale mais sur la tierce de l’accord de tonique... ce qui crée des mouvements mélodiques d’ailleurs assez expressifs. Il est également possible de passer d’une note étrangère à une autre plutôt que de la résoudre immédiatement, comme l’a beaucoup fait Brahms (mais pas seulement : jugez-en par le thème de la Fugue du Chat de Scarlatti).

Naturellement, le contour mélodique est également dicté par la prosodie et la signification du texte. Chaque phrase procède d’un dessin très simple (montée-descente, par exemple) de façon à mettre en valeur les mots les plus expressifs, et les décrochages par mouvements disjoints (les intervalles larges) sont en général placés sur les syllabes les plus vocales (phonèmes "o" ou "a").

  • Harmonie et réalisation

Sans surprise, l’harmonisation aide également à faire passer un grand nombre de notes, grâce aux emprunts à des tonalités éloignées, aux accords de substitution et aux ambigüités majeur/mineur. Ainsi du balancement harmonique sur lequel sont construites la plupart des phrases, assez caractéristique du début du XXe siècle (la minorisation du degré IV renvoie, là encore, à Brahms, l’enrichissement des accords avec sixte ajoutée sur une cadence plagale pourrait évoquer Fauré, et la construction en balancement répété d’un accord à l’autre peut se trouver chez Ravel ou Satie — nous reviendrons d’ailleurs sur ce dernier) :

La diminution rythmique en croches-noires suggérée ci-dessus est la formule que j’utilise lorsque j’accompagne cette chanson au piano. Ce rythme peut suggérer les couleurs instrumentales de l’époque, par exemple le banjo cher à Weill, du Berliner Requiem aux Sieben Todsünden en passant par Mahagonny. Dans l’instrumentarium du spectacle Chant’Oulipo, c’est le ukulélé qui s’y colle avec tout juste quelques notes, pendant que la partie de piano est assurée sobrement par Olivier Salon.
La partition est ici proposée en sol, sa tonalité d’origine (elle est chantée un ton plus bas dans le spectacle).

Chanson de Popincourt
(Jacques Jouet.)

[Enregistrement : radio, 30’46’’.]

[Cliquez pour déplier.]

Ce qui me fait grogner — ai-je mentionné qu’il m’arrive de grogner ? Pas tout le temps bien sûr : quand je ne grogne pas je grommelle, et lorsque je ne grommelle pas c’est que je maugrée. Parmi les choses qui me font grogner, donc, figure en bonne place et sans que je puisse vraiment l’expliquer autrement que par ma toujours plus indissimulable psychorigidité : la présence de noms propres dans les chansons. Je ne le.

Supporte.

Pas.

Encore moins quand il s’agit d’une chanson que je suis chargé de mettre en musique.

Dans le cas du projet Chant’Oulipo, cette aversion me conduisit à écarter de nombreux textes tels que deux amusants poèmes d’Hervé Le Tellier sur Le Homarylinmonroe et Les Brebeatles, ou encore une Traversée de Paris d’Olivier Salon (exercice oulipien classique fondé sur les noms de rues de Paris). Je fis une exception pour l’idée de la chanson que nous verrons plus bas et ce n’est qu’au (mono)prix d’un certain effort que j’acceptai le Petit mari de Paul Fournel sur lequel nous reviendrons également ; mais... mais, il y avait surtout Popincourt.

  • Le texte

Le texte1 est de Jacques Jouet, écrivain incroyablement prolifique et certainement l’un des plus intéressants parmi les auteurs actuels de l’Oulipo. Il s’agit d’un poème monorime autour de la syllabe -our, relativement long et structuré en cinq couplets s’achevant par un même refrain/ritournelle.

La transposition musicale de la contrainte en monorime était évidente : il suffisait de faire correspondre à cette syllabe en particulier une note clairement identifiable, et qui reviendrait ainsi à l’identique, en tous points de la chanson, modulations comprises. Je pris le parti de choisir la quinte de l’accord de tonique (ou en d’autres termes, la dominante), de façon à éviter la fondamentale (la tonique) autant que possible — dans la version du spectacle les refrains se terminent sur la tonique (quoique subvertie par l’accord du piano) ; dans la version écrite ici je me rabats sur la quinte inférieure (c’est-à-dire la quarte descendante par rapport à la fondamentale, j’espère que tout le monde suit).

Les refrains sont effectivement réharmonisés avec un balancement harmonique de triton (entre la sixte napolitaine et la dominante) ; par jeu et pour continuer mordicus à éviter la tonique, la toute dernière phrase se terminera un demi-ton trop haut. Voilà pour les contraintes mélodiques ; restaient la question de la structure et, surtout, celle de l’esthétique de la chanson.

  • Esthétique

La Chanson de Popincourt fut rédigée, donc, par Jacques Jouet à la demande de Jehanne Carillon (qui, contrairement à moi, raffole des textes criblés de noms propres, tout particulièrement lorsqu’ils évoquent la ville de Paris) et en hommage à un endroit de Paris manifestement cher à ces deux personnes — lesquelles étaient en couple à l’époque où ce texte me fut remis, le fait de faire rimer « Popincourt » avec « amour » prenant ainsi un sens très particulier. (Je n’ajoute ce dernier détail que parce qu’il me semble nécessaire pour exposer mon sentiment de malaise vis-à-vis de cette chanson, comme de toutes les démarches artistiques trop chargées d’affects personnels immédiats. V-effekt FTW !)

Quoiqu’il en soit et comme dans toutes les situations où je me trouve contraint à l’insincérité, le travestissement était ici ma seule porte de sortie. Ma première tentation fut donc de me réfugier dans le pastiche :

Satie, auteur fétiche de l’Oulipo (et particulièrement d’Olivier Salon qui lui consacre maintes conférences et spectacles) était une cible toute trouvée. Imaginer un pianiste jouant très lentement la Première Gymnopédie pendant qu’une chanteuse susurre langoureusement à ses côtés ; le dispositif me paraissait approprié au sujet, et présentait (pour être honnête) l’avantage de me demander une quantité de travail quasi-nulle. Bien. Assurément. Certes certes. À un inconvénient près :

Qu’est-ce.

Qu’on.

S’ennuie !

Je mettrais au défi même le plus inconditionnel des amateurs de Satie, de Paris et de monorimes tout à la fois, de ne pas réprimer un baillement en subissant dans sa totalité la « chanson » ainsi obtenue. Car outre ses implications non-Brechtiennes, le texte de Jouet est d’une certaine longueur, et requiert alors (nous y revoilà) un débit qui aille au-delà de la simple ballade susurrante.

  • Réalisation

Je me contentai alors d’augmenter considérablement le tempo, tout en conservant le swing : et c’est ainsi que je me retrouvai, à ma propre surprise, à rédiger... une java.

Là encore, le choix s’avère finalement assez approprié : la java fait signe vers le musette, le musette vers l’accordéon, l’accordéon vers le Paris à touristes... et la boucle est bouclée.

Mais c’est un peu court. La java me semble mériter mieux que cela : au mieux de sa forme, elle est plus qu’une simple valse rapide et swinguée. Ce qu’elle offre, ni plus ni moins, c’est un véritable redécoupage de la mesure à trois temps en deux temps inégaux. :

Une java bien réalisée (ou une jazz waltz, à mon sens et au risque de choquer les puristes les deux se confondent à partir des enregistrements de My Favorite Things par Coltrane et Tyner) donne un sentiment tourbillonnant proprement enivrant, dans lequel l’on n’est plus très sûr d’être à trois temps ou deux temps, de marcher droit ou de boiter, ni même où est le premier temps s’il y en a eu un jour.

Si c’est avec piano qu’elle a été créée (au festival Pirouésie 2012 que j’évoquais plus haut), cette chanson est accompagnée dans le spectacle Chant’Oulipo dans un arrangement pour piano et toy-piano (dont la partie est écrite et disponible dans le code source de la présente partition — de même, elle est chantée dans le spectacle une tierce mineure plus haut). La teinte ainsi obtenue renforce évidemment l’aspect nostalgique/suranné de la chose, même si j’ai essayé de rédiger l’instrumentation dans une démarche concertante (m’exposant à la réprobation de Jehanne Carillon qui n’est pas sans avoir ses propres idées en matière d’arrangements musicaux).

Mal-aimée de son propre auteur (mais non du public), conspuée par mon collègue Oumupien Jean-François Piette (qui n’est décidément pas batteur de Java dans l’âme), cette Chanson de Popincourt ne survit que péniblement à ce jour. Peut-être fait-elle les frais, toutefois, du manque de finesse qui gouverne globalement les arrangements utilisés dans notre spectacle : après avoir rédigé — péniblement — une partie de piano en vue de la publication de ce recueil, je suis surpris de découvrir aujourd’hui que, sous cette forme au moins, la chanson existe, vit, rebondit. Je lui souhaite de trouver ainsi un nouveau souffle.

L’antilope et l’antiquaire
(Jacques Roubaud.)

[Versions enregistrées : BnF, 40’18’’ ; radio, 19’40’’.]

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Nouveau texte1 de Jacques Roubaud, L’antilope et l’antiquaire nous entretient de deux bien étranges animaux.

Ce texte est probablement le tout premier auquel je fus présenté lors de notre première rencontre chez Olivier Salon le 16 janvier 2012, où Mike Solomon, Jehanne Carillon, Olivier et moi-même posâmes les bases de ce qui allait devenir le projet Chant’Oulipo. Très inspiré, je me mis immédiatement au piano et improvisai le très duteilien chef-d’œuvre que je ne reconstitue ci-après que parce qu’une longue mithridatisation m’a donné l’habitude de me considérer invulnérable au ridicule :

Nous convînmes de nous retrouver le 23 janvier, et entretemps (c’est-à-dire, le 23 à 10 heures du matin dans le RER B qui me séparait de la station Arcueil) j’avais rédigé la version que l’on peut lire aujourd’hui.

C’est que, voyez-vous, j’avais oublié la virgule.

Oh, ça n’a l’air de rien, une virgule, et Olivier Salon ne se priva pas d’insinuer que peut-être Roubaud lui-même l’avait mise là sans trop y penser. Mais le fait que le texte n’est PAS :

Étrange étrange est l’antilope

comme je l’avais naïvement cru au terme d’une lecture trop hâtive, non. Le texte EST :

Étrange, étrange est l’antilope

Et cela, voyez-vous, change TOUT.

Parce que cette virgule, il importe de la jouer, de la chanter, de la souligner dans la musique. Sans cette virgule, l’’étrange" du texte n’atteint point son plein degré d’étrangeté. Et quoi de mieux pour évoquer l’étrangeté, qu’une sixte augmentée :

Le do dièse et le mi bémol ont ceci de commun qu’ils voudraient vraiment, vraiment aller vers le re naturel. Le récit de leur voyage est ce qui détermine le style musical employé et l’époque à laquelle il fait référence ; disons qu’on se situe ici dans de la musique savante quoique légère du début du XXe siècle, quelque part entre Hugo Wolff et Georges Auric. (C’est également l’époque de Satie, encore lui, même si le caractère de cette pièce lui correspond peu.)

Jugez-en par vous-même : l’enregistrement de cette chanson le 22 mars 2012, commence à la 40e minute.

La mélodie oscille donc autour du re et du la naturels, soit tout ce qu’il nous faut pour faire un accord parfait sauf la tierce (fa dièse ou non), précisément ce qui nous permettrait de décider si l’on est en Ré mineur ou Majeur. La partie de piano ne nous renseigne pas davantage, puisqu’elle alterne nonchalamment entre les deux. (Elle fut rédigée à l’intention d’Olivier Salon à une époque où j’étais décidé à ce qu’il fût le seul pianiste impliqué dans le projet, et il s’en acquitta fort bien depuis lors.)

Le côté un peu absurde de la chose est renforcé par les intermèdes : l’introduction au piano donne lieu à un numéro de pianiste-contemporain pur-et-dur littéralement inimitable de la part d’Olivier Salon, et le break du milieu était censé fournir un prétexte au groupe d’Étienne Lécroart, « Les Jacqueline Maillan » (ça ne s’invente pas) pour débouler sur scène tout d’un coup et remplir l’espace de musique bruyante et festive, avant de repartir aussi soudainement. L’effet ne fut réussi qu’en partie, et aujourd’hui encore nous nous retrouvons avec un break vide à remplir tant bien que mal.

Eu égard à mon mépris envers les compositeurs qui laissent leurs partitions partiellement non-écrites (solution de facilité, à mon sens), il me fallait trouver un compromis pour l’édition de ce morceau. Le compromis fut aisément trouvé en l’espèce de la commande \makeCluster obligeamment fourni par LilyPond : si vous enlevez ces commandes dans le code, vous constaterez qu’aux deux endroits sus-mentionnés la partition est effectivement remplie de notes qui ne demandent qu’à s’afficher correctement plutôt que d’avoir été gobées par un gros boa fait d’aplats noirs.

L’idée de la chanson
(Frédéric Forte.)

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Il advint donc qu’en juillet 2012 nous fûmes conviés à présenter quelques chansons ouli(mu)?piennes au festival des Pirouésies, festival qui se tient — comme son nom l’indique — en Basse-Normandie dans la bonne ville de Pirou-Plage (à ne pas confondre avec Pirou-Bourg et Pirou-Pont, vous serez gentil) où souffle l’esprit, et qui présente l’intéressante particularité — le festival, pas la ville — que chacune de ses éditions, depuis sa création, est la dernière avant arrêt total des opérations ! Ce n’est pas moi qui le dis, c’est son créateur et animateur essentiel, l’excellent écrivain, peintre et d’autre choses encore, Robert Rapilly, dont il est, soit dit en passant, proprement incompréhensible qu’il n’ait jamais été intronisé à l’Oulipo — mais la vie n’est-elle pas faite d’injustices.

Cette description ne saurait être complète (elle ne le sera pas de toute façon) sans mentionner que Robert Rapilly est doté d’un fils, Lucien, « géant taciturne » ainsi que le décrit son père, et que ledit Lucien Rapilly est lui-même musicien : on lui doit notamment un opéra de chambre (très réussi) sur un texte de Jacques Jouet. Recevant, donc, la double information que — petit a — j’étais gracieusement invité à découvrir les charmes (point totalement inconnus) de la Basse-Normandie au prix bien modeste de quelques chansons et — petit b — parmi les interprètes potentiellement disponibles ce jour là figureraient Lucien Rapilly et sa guitare (authentique ? électrique ? Pas moyen de le savoir), je réprimai un mouvement de panique et m’admonestai mentalement : diantre, mon garçon, il va falloir être à la hauteur.

  • Le texte

Ce qui suit est donc ma tentative d’y être (à la hauteur) — mais n’anticipons point. Une chanson très sophistiquée sur un texte qui ne l’est pas moins, signé Frédéric Forte, peut-être le plus jeune Oulipiens actuels. Forte (prononcez forté) avait promis de longue date à Jehanne Carillon un texte pour son projet de spectacle, mais sa vie bien remplie (notamment, en l’occurrence, par la naissance de son dernier enfant) avait repoussé l’élaboration de ce texte, qu’il n’envoya que tardivement et non sans s’excuser car ce qu’il avait écrit n’avait « aucun sens ». Sens ou pas sens, l’attente en valait la peine1 :

La construction est limpide : il s’agit d’une alternance couplet/refrain, les refrains étant constitués de quatre vers qui permutent suivant un schéma de quenine. Le texte m’enthousiasme immédiatement par son originalité, son écriture personnelle et sincère, la qualité de sa construction — je parviens même à ne pas prendre ombrage du mot « Japon » nonobstant mon aversion précitée envers les noms propres.

Suprême gourmandise, le discours est ici en grande partie auto-référent : il parle d’une chanson, de la façon dont elle se construit (« un mot en suit un autre »), voire des hésitations de son propre auteur (« faudrait revoir le mode d’emploi »). Frédéric Forte avait même ménagé des endroits où le chant devait chanter ses propres notes (solmisation), ce que je me suis empressé de remplir sous une forme mélodique simple et reconnaissable (quatre notes permutant par combinatoire systématique, comme les quatre vers du refrain).

Enfin, une chanson écrite par un jeune père et qui fait allusion au monde de l’enfance (« je crie papa » / « tais-toi mon ange ») ne pouvait que me toucher — j’ai d’ailleurs contacté Forte quelques mois plus tard pour écrire un livre de berceuses et comptines pour jeunes enfants, il m’a répondu d’accord et n’en n’a plus jamais reparlé. (Cela est dit en passant et sans aigreur aucune : je ne me sens aucune légitimité à attendre quoi que ce soit de quelqu’un qui, contrairement à moi, a une vie.)

  • Esthétique

Avec un texte aussi limpide, la chanson aurait pu s’écrire toute seule. On empoigne une guitare, on s’assied autour d’un feu de camp un soir d’été à Biarritz, et on s’efforce d’imiter Brassens :

Sauf que cela, voyez-vous, n’aurait pas été à la hauteur. Je voulais être plus moderne, plus funky, plus edgy, plus — comme l’a stupidement mais officiellement dénommé je ne sais quel jeanfoutre dans un ministère — « musiques actuelles ». On allait voir ce qu’on allait voir.

Et que je te me vire la métrique ternaire, et que je me te renforce le backbeat (en français on dit « le temps faible » mais c’est tellement has-been). Et que je te m’en vais chercher des accords un peu élaborés pour le refrain (le premier accord de Round About Midnight par Davis et Coltrane, <la mib' sol re'>, fera l’affaire à merveille). Et que je te me te travaille le contour mélodique, avec des permutations, des renversements, des rétrogradations, des chromatismes et j’en passe. Et, surtout, surtout, là où un faiseur de reggae fusion (c’est-à-dire du reggae mâtiné de funk) le clamerait à la face de la terre, à grands renforts de batterie et de slap bass, moi, non : moi, moi j’ai la victoire modeste, moi, monsieur. Moi.

Non mais hein.

Donc ? Donc, j’écris une partie de guitare (laquelle peut être amplifiée ou non, c’est selon) trrrès soignée, d’une sobriété ostentatoirement arrogante et d’un dépouillement suprêmement élégant, que je teste moi-même avec une guitare afin d’être sûr que, même pour quelqu’un comme moi qui ne sait point en jouer, ce que j’ai écrit est raisonnablement réalisable. Et je fais parvenir le tout à Lucien Rapilly dès juillet 2012.

À ce jour, je n’ai toujours pas eu de réponse.

  • Écriture

Le rythme du chant suit scrupuleusement la versification, découpée en tétrasyllabes, avec des rythmes plus variés qu’il n’y paraît. Les couplets sont entièrement sur quatre notes re fad / do mi, avec toutes sortes de permutations ; les refrains sont construits sur deux éléments mélodiques (un accord en arpège brisé, et un mouvement conjoint) qui peuvent être permutés et renversés, avec une certaine, hum, qualité expressive (j’entends par là une voix de chanteur de blues, voire un tantinet dégoulinante façon Michel Jonasz — mais ça, j’y reviendrai plus bas).

La construction harmonique évite soigneusement tout accord parfait et toute fonction tonale, en se réfugiant plus volontiers dans un discours discrètement modal fait d’accords de quinte augmentée et de gammes par ton. À strictement parler, cette chanson est atonale : c’était, en tout cas, son projet. Cependant l’auditeur percevra certainement une polarisation autour de la note re, et aura peut-être même l’impression que la chanson est en Ré majeur :

C’est là un phénomène que j’appelle la « bonne volonté de l’oreille », et que nous retrouverons plus bas. Habitués que nous sommes à entendre de la musique tonale, notre oreille perçoit facilement dans une mélodie — c’est même, pourrait-on spéculer, le prix auquel celle-ci peut rester intelligible et aisémement mémorisable — des notes de polarité ; et je ne fais rien ici pour détromper cette impression, du moins dans un premier temps (l’accompagnement n’introduit les quintes diminuées que peu à peu, et n’introduit de la polymodalité qu’à la mesure 27).

Le paradoxe de cette chanson — l’une des rares, avec l’Autobus, dont je me sente assez fier — est qu’après avoir eu rédigé un accompagnement sobre et dépouillé pour guitare seule, avec le succès qu’on sait, je n’ai jamais été vraiment satisfait des arrangements ultérieurs, au point de douter qu’aucune instrumentation plus fournie ne lui convienne — indépendamment même des contraintes liées au projet Chant’Oulipo, quelques nombreuses et frustrantes qu’elles puissent être. Nous fûmes tentés d’y ajouter du violoncelle, de la guitare basse, du thérémine, de la trompette (elle subsiste encore à ce jour), mais rien de tout cela ne me semble atteindre la hauteur que j’avais envisagée, en matière d’abstraction, d’expressivité et d’immersion dans un langage musical quelque peu dépaysant. La partie de piano ici incluse n’est donc qu’une transcription approximative et facilitée de la partie de guitare sus-évoquée, laquelle demeure disponible dans le code source de la partition.

Le téléphone
(Jacques Roubaud.)

[Enregistrement : radio, 54’16’’.]

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Pour peu que l’on se trouve dans la disposition d’esprit idoine, les jeux de mots présentent l’intéressante (et paradoxale) propriété suivante : pires ils sont, meilleurs ils sont. Le texte suivant de Jacques Roubaud que nous avons souhaité, de toutes les façons possibles (il a fini par être ajouté en tant que bis), voir figurer dans le spectacle Chant’Oulipo, me semble concerné au plus haut point par ce principe de Roubaud de la nature humaine.

Lorsqu’un texte1 fonctionne à ce point par lui-même (fût-ce, comme c’est le cas ici, davantage à l’écrit qu’à l’oral), la musique ne peut qu’avoir la sagesse et l’humilité de se ranger discrètement derrière lui en veillant à ne pas détourner l’attention. La ligne de basse ici présentée, est de cet ordre : un simple soutien du chant, du reste très simple au point d’être primaire. Le rythme, que l’on pourrait qualifier de « chaloupé » à condition de se sentir suffisamment pompeux pour cela, évoque lointainement le fado — un fa♯do♭, pourrait-on dire.

Cette chanson aurait ainsi pu, à ce titre, être exclue de ce recueil — d’autres le furent impitoyablement, et des bien plus intéressantes pour comble. Si ce n’était pour... le gimmick. Et le gimmick, ici, qu’est-il ? Tout simplement l’emploi d’un appareil téléphonique en tant qu’instrument musical.

La première solution, la plus simple, est d’utiliser un téléphone comme percussion. C’est ce que s’est proposé de faire Olivier Salon dans la mise en scène, dépoussiérant pour l’occasion son vieux téléphone à cadran modèle U43. Entre le « cling » du raccrochage, le « crrr » du cadran (qu’il nous est arrivé d’utiliser en introduction pour lancer la rythmique, d’une façon qui n’est pas sans évoquer le démarrage de la comédie musicale américaine Company à laquelle j’ai consacré un très long article), ou même les « coups de téléphone » qu’Olivier s’inflige sur le crâne, la chose fonctionne fort bien et présente un attrait visuel certain.

D’un point de vue plus musical toutefois, et peut-être du fait de ma culture de pianiste, le téléphone à cadran m’intéressait moins que le téléphone à clavier. En fait, mon ambition était d’utiliser les double-fréquences DTMF — oups, voici le lien correct —, les fameux bips de la numérotation dite par « fréquences vocales ». La règle est simple : chaque touche du téléphone émet deux hauteurs, dont celle du bas correspond à sa rangée (horizontalement) sur le clavier, et celle du haut à sa colonne (verticalement). Pour compliquer un peu les choses — parce qu’il faut toujours compliquer —, la norme DTMF ne produit aucune note ni intervalle en adéquation avec le tempérament auquel nous sommes habitués (ni aucun autre, d’ailleurs) : les hauteurs ne sont pas vraiment séparées par des tons entiers, l’intervalle entre les deux sons d’une touche n’est jamais ni majeur ni mineur ni juste, et ainsi de suite.

C’est donc, motif essentiel à l’Oumupo et sur lequel nous reviendrons plus bas, qu’il faut compter sur la bonne volonté de l’oreille. De même que l’être humain persiste à voir des objets et des êtres dans la forme des nuages, notre cortex auditif passe son temps à tenter de faire sens des sons auxquels il est exposé — l’on sait ainsi, depuis Chabrier, qu’il est possible de terminer une gamme descendante en pizz. de contrebasse, par un coup de grosse caisse :

Revenons à notre clavier de téléphone. La touche 4 produit quelque chose qui évoque vaguement la sixte mineure <fad re'> ; pour peu que l’on joue un si grave en même temps, l’auditeur (si tant est que son oreille soit d’assez bonne volonté) sera quasiment convaincu d’avoir entendu un accord parfait mineur. Ainsi est-il possible de construire un discours musical, certes limité mais non dénué de sens, avec un simple téléphone assorti d’une ligne de basse.

... Encore faut-il, en premier lieu, disposer d’un tel téléphone et du moyen de le faire entendre. Dans la mesure où le rythme est ici primordial, toute latence dans l’émission du son devient plus qu’indésirable : rhédibitoire. Ce qui exclut, de fait, tout téléphone DECT ou non-exclusivement analogique : pour le dire plus simplement, notre téléphone doit avoir des fils. (Et je n’entends pas par là sa progéniture.)

Outre le fait que ces objets ne sont plus si aisés à se procurer qu’ils ont pu l’être par le passé, se posent des problèmes de sonorisation et d’alimentation (pas si facile d’imiter le courant continu d’une boucle locale dans une prise en T)... Bref, les conditions techniques n’ont jamais été réunies pour « jouer » une partie de téléphone digne de ce nom, et jusqu’à ce jour mon collègue Jean-François Piette a seulement pu tenter sans grande conviction de donner le change avec son iPhone® mais sans la précision rythmique ni la puissance sonore qu’aurait un ustensile digne de ce nom. Bref, le débat reste ouvert — mais la partition est amusante et a ainsi gagné son droit d’entrée dans le présent recueil.

Sans raison
(Ian Monk.)

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  • Prolégomènes

Au mois d’août 2012, dans la lignée du festival Pirouésie dont j’ai déjà dû vous entretenir une ou deux fois (non ?), je fus pris d’une tentation coupable : l’envie de travailler avec Ian Monk.

Drôle de personnage que ce Ian Monk. Auteur brillantissime, traducteur d’exception, capable de trouvailles et de fulgurances qui n’appartiennent qu’à lui, il semble souvent se complaire à rédiger des textes — en langue française — bourrés de gros mots, ce qui choque passablement une large partie du public des Jeudis de l’Oulipo. Personnellement la chose m’amuse plus qu’autre chose, et je le soupçonne lui-même de prendre un malin plaisir à « choquer le bourgeois ». À ces « écarts » de langage s’ajoute la noirceur des thématiques abordées (violence, haine parents/enfants, voire inceste), au point que de nombreuses personnes très respectables voient Ian non comme un tranquille père de famille mais comme un être démoniaque, sombre, torturé et grandement malade.

Tel n’est pas mon cas. Lors du jeudi 10 mai 2012 à la Bibliothèque Nationale, consacré à un concert du groupe de rock que forme Ian avec son pote Arnaud (dont j’oublie invariablement le nom de famille), je regardai, goguenard, la salle se vider peu à peu alors que je restais là à apprécier les chansons, que je trouvais honnêtement faites et relativement soignées, quoique dans les limites de leur propre langage.

Ayant rencontré Ian Monk quelques mois plus tard à Pirou-Plage (qu’il ne faut pas confondre, ô mieux-aimée, avec Pirou-Pont ni Pirou-Bourg), je lui suggérai de travailler avec lui à l‘écriture de quelques chansons. Mon idée était de provoquer une collision entre le texte et les paroles : par exemple chanter des paroles extrêmement tristes sur un air extrêmement joyeux (le Non più di fiori de Mozart ne laisse pas de m’interloquer), ou une ode au heavy metal sur une petite gavotte, ou une valse musette faisant l’apologie du blues, et ainsi de suite. Ian s’empara évidemment de cette dernière idée pour y recaser sa panoplie de tropes mordbido-dépressifs — mais je pensais, vaillamment, être de taille à accepter tout ce qu’il ne manquerait pas de m’envoyer en matière de provocations...

Et ma propre limite fut atteinte en à peine quatre couplets de son Blues du Loser. « Ma femme vient de me quitter / mais quelle conne / mais quelle conne » ; okay. « Mon patron m’a viré / mais quel con / mais quel con » : pas de problème. « Mon père vient de crever / mais quelle poire / mais quelle poire » ; admettons. « Puis mon fils vire pédé /mais quelle nunuche / mais quelle nunuche/ pourtant il aurait pu s’taper les meufs »... Et là, j’avoue avoir du mal à continuer. Autant désamorcer les premiers couplets en les mettant en musique sur une valse guillerette me semblait amusant, autant traiter ce dernier couplet sur un ton primesautier et badin me pose un problème profond, en notre époque troublée où l’obscurantisme homophobe ne voit aucun inconvénient à proclamer sa haine en défilant au pas de l’oie derrière des oripeaux religieux et contre-révolutionnaires.

  • Le texte

C’est donc d’autant plus volontiers que je sautai sur la proposition suivante de Ian Monk, autour d’un texte déjà rédigé précédemment1, et sur lequel son « pote Arnaud » avait proposé une mise en musique :

Le texte est un (je n’arrive pas à dire « une ») quenoum, forme inventée par Ian qui célèbre le mariage (heureux) entre la quenine et le pantoum. Non seulement les mots en fin de vers se succèdent par permutation de quenine, mais des introductions de vers sont reprises à chaque strophe, c’est extrêmement construit et élégant.

Voici — s’il ne m’en veut pas de diffuser un document de travail, à l’état d’ébauche inachevée — la version enregistrée par Arnaud et que Ian me fit parvenir ; elle repose sur un riff de guitare faisant alterner D- et G de façon très classique, sur lequel la voix déroule son texte, dans le grave de sa tessiture et sur un ton nonchalant : les feux de camp à Biarritz ne sont pas très loin.

  • Construction

Autant j’appréciais la modestie du projet, autant il me semblait dommage de ne pas exprimer par la mise en musique le degré d’aboutissement formel du texte.

Je me mis donc au travail, en commençant par le chiffre 5 : quenoum d’ordre 5, en cinq strophes, avec cinq mots-rimes... La chanson serait donc composée de cinq carrures de cinq mesures à cinq temps. Ce qui n’est pas sans impliquer un certain degré de dissonance par rapport à ce que l’on attend en général du rock : formaté par carrures de quatre mesures à quatre temps. J’essayai donc de rédiger un riff de guitare en partant de celui d’Arnaud, mais sur une mesure à cinq temps, et qui donne en plus des accents toutes les cinq double-croches.

Point trop mécontent du résultat, je me demandai ensuite comment faire entendre les changements de carrure (toutes les cinq mesures). Je pris le parti d’une très simple modulation un demi-ton au-dessus.

Restait la question des mots-rimes. Associer à chaque mot-rime une note différente ne suffisait pas, contrairement aux situations que nous avons pu voir précédemment : autant l’oreille a une chance de distinguer une note récurrente dans le cas d’un texte monorime, voire la capacité de distinguer deux sortes de notes — les graves et les aigües — dans le cas d’un bivocalisme, autant ces stratégies s’avèrent inopérantes dans le cas de cinq mots récurrents. Je choisis donc d’écrire la mélodie entièrement sur cinq notes, tout en respectant le dispositif des mots rimes :

Les hauteurs sont choisies de façon à pouvoir s’adapter aussi bien (c’est-à-dire aussi mal) à un contexte en Ré mineur qu’en Mi bémol mineur — moyennant parfois un peu de ce que je nommais plus haut la « bonne volonté de l’oreille ». Enfin, l’écriture rythmique met en avant des anticipations et contretemps, pour tenter de compenser l’austérité du langage employé par un aspect très syncopé et dansé. Le rythme se calme sur la dernière strophe, avec un phrasé plus legato.

Nous touchons là à une problématique très ou-x-pienne : comment s’assurer que, malgré les contraintes et la rigueur formelle, un geste artistique reste expressif et intéressant ? La vérité est qu’il n’y a aucune garantie, il faut simplement attendre et se confronter aux interprètes et au public. Mon espoir avec cette chanson était de créer une structure étrange et envoûtante, mimétique de cette « spirale » poétique qu’évoque le texte.

Mon but est-il atteint ? Probablement non : malgré (ou peut-être en raison de) son écriture très recherchée, cette chanson ne parut guère enthousiasmer mes acolytes du projet Chant’Oulipo. Jean-François Piette fit l’effort de tenir une partie de zarb à cinq temps et je suggérai de me charger du riff de guitare au ukulélé (suscitant les protestations de Jehanne Carillon qui considère, peut-être à raison, cet instrument comme congénitalement faux)... Mais rien n’y fit, et ce numéro fut passé par pertes et profits. Quant à Ian Monk, je lui envoyai un exemplaire écrit, sans réponse — soit du fait de mes atermoiements précités, soit parce que la partition était trop absconse.

Le baobabouin
(Jacques Roubaud.)

[Versions enregistrées de cette chanson : BnF, 37’52’’ ; radio, 1’52’’.]

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J’ai déjà eu l’occasion de présenter ce numéro dans un recueil précédent, où il n’était du reste pas entièrement à sa place. C’est que, s’il fait partie du recueil des Sardinosaures co-écrit avec Olivier Salon, le Baobabouin de Jacques Roubaud a été mis en musique dans un langage nettement moins sophistiqué que le reste du cycle que j’ai précédemment publié.

Tout comme l’Antilope que nous évoquions plus haut, cette chanson fut élaborée un matin dans le RER B qui me conduisait chez Olivier Salon (en fait, je crains bien que ce ne fût le même matin). Bien m’en a pris : cette chanson en est venue à constituer le porte-étendard du projet Chant’Oulipo, c’est par elle que débutent tous nos spectacles — raison de plus pour ne pas avoir ouvert le présent recueil avec elle1.

Voici ce que j’écris à mon frère Pélléas au sujet de cette chanson :

La construction est ici parfaitement tonale (au point du plus pur conformisme), et partiellement non-écrite — on pourrait, et cela a été fait, la jouer avec un ensemble de type jazz. La « contrainte » est extrêmement simple et n’affecte que la mélodie : les syllabes « ba » doivent correspondre à un mouvement disjoint descendant, les syllabes « ô » à un mouvement disjoint ascendant. Pour le dire plus simplement : sur « ba » on va vers le bas, sur « ô » on va vers le haut. Cela n’a l’air de rien (et ce n’est, sérieusement, rien), mais cela confère à la mélodie un aspect assez reconnaissable et facile à mémoriser, en particulier sur les fameux « ba - o - ba - bouin », mis à dessein sur une ligne brisée en septièmes.

Le démarrage de la chanson fait intervenir des mesures à trois temps (au grand dam de mes interprètes habitués au swing traditionnel, et pour qui il fallut ajouter un quatrième temps bien carré) ; la section du milieu est plus conventionnelle, et renvoie à tous les grands succès du jazz — pour n’en prendre qu’un exemple : « avec son cabas » est ici mis en musique sur les mêmes notes que « c’est aujourd’hui qu’il passe » dans la chanson On n’est pas là pour se faire engueuler de Boris Vian. Ou encore, le motif en septièmes que j’évoquais plus haut, pourrait être décrit comme un renversement « webernien » (oui, faut pas avoir peur) de la seconde par laquelle commence It Had To Be You. Ceci pour ne rien dire de la fin du morceau, qu’on ne présente plus.

La réalisation proposée ici est quasiment la même que celle que j’avais rédigée pour le recueil des Sardinosaures (de fait le code source est partagé entre les deux recueils) ; la partie de piano est un peu plus étoffée et comprend maintenant quelques citations parfaitement gratuites qui feront plaisir aux amateurs d’Erik Satie (et nous avons vu que l’Oulipo en comptait au moins un).

Le petit mari
(Paul Fournel.)

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On l’aura compris, Jehanne Carillon est quelqu’un qui sait motiver les foules. Non contente d’avoir réuni autour d’elle une phalange de musiciens, elle parvint également à se faire rédiger sur mesure plusieurs textes destinés à son projet de spectacle (projet qu’elle porta à bout de bras jusqu’à l’aboutissement et au succès qui, pour l’instant, n’a pas été démenti).

Le Petit mari est l’un de ces textes mais c’est loin d’être le seul (nous avons vu plus haut l’Idée de la chanson qui en est un autre). Plusieurs auteurs oulipiens s’y collèrent avec des bonheurs variés, mais leur contribution put parfois prendre la forme d’un cadeau empoisonné : la tentation était forte pour eux de s’amuser à faire chanter par une femme des paroles quasi-obscènes ou, à tout le moins, du double-entendre franchement grivois. (Non que Jehanne en soit le moins du monde tracassée, pour autant que j’aie pu voir : l’expression « cadeau empoisonné » est ici de moi, et ne reflète que ma propre pudeur — volontiers teintée, on l’a vu, d’une certaine psychorigidité.)

  • Historique

Paul Fournel, écrivain accompli et président de l’Oulipo depuis (je crois) 19723, est ici de ceux auxquels je pense — mais pas le pire. Au-delà de quelques allusions salaces, du reste plus amusantes que vulgaires, je trouve son écriture d’une sincérité profondément honnête, souvent touchante. (C’est en tout cas le sentiment que m’inspirent les textes qu‘il m‘a été donné de fréquenter ; du reste, je n’ai nulle intention de m’improviser critique littéraire.) Il rédigea pour Jehanne Carillon de nombreux textes, dont plusieurs furent mis en musique (à sa façon) par Jean-François Piette. Pour ma part, je me penchai sérieusement et successivement sur trois d’entre eux, dans le cadre des Pirouésies 2012 pour lesquelles j‘avais également mis en musique l‘idée de la chanson, Popincourt et le maki mococo.

Le premier, Branchée, est — pour autant que je puisse en juger — une tentative d’intégrer le langage « djeunz » dans un discours poétique traditionnel (voir l’extrait plus bas). Les décalages sont ici innombrables (et, oserai-je supputer, pas forcément tous délibérés) ; à commencer par le ton très mélancolique du texte dans une génération que l‘on imagine (que l‘on fantasme, plus qu‘autre chose) accro à la vitesse et l‘immédiateté.

Nous étions attendus en Basse-Normandie à Pirou-Plage (et non à Pirou-Bourg ou Pirou-Pont, qu‘allez-vous imaginer là ?) où l’on m’avait laissé entrevoir qu’il y aurait un flûtiste. J’imaginai donc un motif d’accompagnement dans le grave de la flûte (sans me soucier de savoir si ledit flûtiste pourrait respirer) :

Cette (non-)idée en tête, je commençai à chercher une mise en musique possible du texte (dont vous découvrirez ci-dessous une partie).

Ce n’était pas vilain, mais cela tournait en rond et c’était mal fichu en termes de structure. Je finis par jeter l’éponge.

Le deuxième texte, intitulé Pain quotidien, me semblait assez bien tourné, à l’exception de la fin peut-être (de mémoire : « Mets tes mains sur mes miches / Je veux que tu les remoules / Façon Wonderbra » — euh, plaît-il ?). Les couplets énuméraient des jours de la semaine et j’avais commencé à travailler autour d’un pentacorde descendant avec permutation systématique des intervalles — de bien grands mots si l’on en juge par la simplicité du résultat :

C’était austère, c’était combinatoire, c’était oumupien et j’étais content.

Jusqu’au refrain.

Sans toi je crève de froid
Réchauffe-moi
Mets ta main sous mon chandail express
Mets ta main sous mon chandail express
Réchauffe-moi

Regardons la vérité en face : j’aime beaucoup ce refrain. Il me semble expressif, bien construit, original — seul inconvénient : impossible de chanter cela sur une mélodie anodine. Le texte appelle plus.

Alors ?

Alors, les vannes s’ouvrent.

Michel Jonasz au meilleur de sa forme. (Mon penchant coupable pour les dégoulinures esthétiques de Michel Jonasz est un sujet de dispute récurrent avec ma femme, qui est sans doute la seule personne au monde à mesurer pleinement l’étendue de mon mauvais goût. C’est en tout cas ainsi qu’elle le présente.) Outre l’aspect déplorablement soupoïde de la chose (qui, à lui seul, suffit à susciter le véto de Jehanne Carillon), on n’est surtout plus du tout, du tout, dans une démarche même lointainement oumupienne.

J’ai tout essayé : de replacer mes pentacordes combinatoires dans l’accompagnement, de réharmoniser le refrain...

... rien n’y fait, menaces ou prières. En dernière analyse, Pain quotidien finit par suivre la voie du dodo et quitter notre plan d’existence. Il ne survécut guère que dans ma mémoire, comme l’excellent souvenir d’une trop brève histoire d’amour impossible.

  • Bon, et alors ?

Alors, restait le troisième texte1.

On reconnaît ici l’allusion à la célèbre comptine du « petit mari » (ou : « l’insatisfaction sexuelle féminine expliquée aux enfants »). Je cite d’ailleurs cette mélodie à la fin, non sans m’amuser des implications féministes qu’il y a à remplacer « Mon père m’a donné-z’un mari / Mon dieu quel homme qu’il est petit » par « Moi je n’ai pas tergiversé / J’ai remis le mien sur eBay ».

C’est donc de cette mélodie populaire que je suis parti, dont un rapide examen intervallique permettait d’envisager une systématisation fort oumupienne :

La mélodie s’organise en groupes de quatre notes : un saut de quinte (tantôt descendant puis ascendant) suivi d’un mouvement conjoint descendant. Qu’à cela ne tienne, j’avais ainsi mon introduction :

J’avoue avoir éprouvé une certaine joie enfantine à détraquer joyeusement cette petite mélodie, en la laissant sautiller gaiement comme un lemming jusqu’à sa dégringolade.

La suite de la chanson poursuit ce jeu de massacre, en jouant sur le décalage entre la voix et l’accompagnement. Comme dans le cas du Téléphone ci-dessus, nous nous trouvons en présence d’une chanson « à texte » et la mise en musique se doit de ne pas faire intrusion. J’ai donc utilisé une écriture vocale qui se réfère délibérément aux opérettes d’avant-guerre (par exemple de Veber & fils et Willemetz). Rien de très remarquable là-dedans, si ce n’est quelques modulations dans des tons peu habituels : La bémol majeur et Mi majeur, pour une raison sur laquelle je reviens à l’instant.

La partie de piano est ici rédigée, une fois n’est pas coutume, à la truelle. Par « truelle » j’entends le \chordmode de LilyPond, qui fabrique automatiquement des accords parfaits majeurs. C’est ici délibéré : la partie de piano n’emploie que des accords majeurs — en cela elle est exactement à l’opposé du maki mococo, lequel s’appuyait sur des accords mineurs (quoiqu’avec des enrichissements modaux, ici totalement absents).

Toujours par complémentarité avec le maki mococo, cette chanson fonctionne avec des modulations par tierce majeure et non pas mineure. C’est même plus que cela : la partie de piano est écrite suivant des cycles de tierces majeures, remplaçant les habituels cycles de quintes :

Ce qui exclut toute cadence parfaite traditionnelle ; cependant la voix, elle, suit un fonctionnement tonal rigoureusement habituel. Ici encore, je dois compter sur l’oreille de l’auditeur et sa bonne volonté pour reconstituer les briques manquantes, et trouver des points d’ancrage dans la mélodie chantée malgré le côté déglingué apporté par l’accompagnement.

Quand je pense
(Jacques Roubaud.)

[Enregistrement : BnF, 50’15’’.]

[Cliquez pour déplier.]

La dernière chanson de ce recueil est à nouveau dûe à mon collègue Mike Solomon, sur un texte de Jacques Roubaud1.

Là encore, il s’agit d’une des chansons que nous rédigeâmes dès janvier 2012 et qui furent représentées à la BnF le 22 mars 2012. J’avais été tenté de prendre en charge cette chanson, et avais vaguement improvisé quelque chose sur le piano d’Olivier Salon, en prenant pour point de départ l’étude Pour les arpèges composés de Debussy :

Je trouvais cela très joli mais entre trouver une idée jolie pendant sept secondes et écrire une chanson entière, il existe une brèche. Dans laquelle s’engouffra Mike Solomon (dont le moment est peut-être venu pour préciser qu’il ne vivait alors en France que depuis moins d’un an, et maitrisait déjà pourtant parfaitement notre langue), pour livrer ce qui est, à mon sens, l’une des plus étonnantes réussites de l’Oumupo, et que j’ai grand plaisir à inclure dans le présent recueil, assortie d’une partie de piano rédigée par mes soins d’après les improvisations fort salonardes de mon acolyte Olivier.

Dans le texte ne figurent donc que deux verbes, « penser » et « demander ». Considérez maintenant les fragments suivants :

Nous pouvons noter que :

  • le verbe « penser » produit une quinte, le verbe « demander » une tierce.
  • la première personne du verbe « penser » produit un mouvement ascendant et la deuxième personne un mouvement descendant
  • ... sauf s’il s’agit du verbe « demander », auquel cas c’est l’inverse.
  • le verbe « demander » à la première personne produit une tierce mineure, à la deuxième personne une tierce majeure
  • la première personne produit une seconde majeure, la deuxième personne une seconde mineure. En d’autres termes : la mélodie entière est gouvernée par les groupes verbaux du texte, et d’ailleurs il ne contient que des groupes verbaux.

Réussite d’autant plus admirable qu’elle est... totalement indétectable. Quiconque entend cette chanson sera persuadé de n’avoir affaire qu’à une n-ième ballade romantique, d’ailleurs pas très bien fichue.

Ce dernier sentiment est dû à une autre contrainte, encore moins flagrante : en harmonisant sa chanson, Mike a essayé d’éviter systématiquement (sauf, comme dans Début, à la toute fin) l’enchaînement harmonique II - V - I qui est la marque de fabrique de toute la musique tonale depuis cinq siècles. Il a recours pour cela à diverses stratégies (dont, pour être honnête, certaines me semblent moins convaincantes que d’autres) et il est vrai que, tout comme dans Début (mais où, nous l’avons vu, la radicalité de ses choix est compensée par la brièveté du morceau), cette chanson « tourne en rond ».

Cela ne fut pas sans poser un problème récurrent à l’équipe de Chant’Oulipo, à commencer par Jehanne Carillon qui éprouvait, sans surprise, quelques difficultés à défendre cette chanson sur scène en sachant pertinemment que la totalité du public ne pourrait la prendre autrement qu’au premier degré. Là encore nous touchons à des questionnements incontournables pour tout ou-x-pien : à partir de quand la réussite de la contrainte suffit-elle à conférer un intérêt suffisant au produit qui en résulte ? Jamais, dans la brève histoire de l’Oumupo actuel, la question n’aura été si bien posée.

Bonne lecture !
Valentin.


[1(Nota Bene : afin de ne pas commettre plus de violations de droit d’auteur qu’il n’est strictement nécessaire, tous les extraits de textes sont ici présentés tels qu’ils apparaissent dans le code source de la partition. Si les extraits ne s’affichent pas correctement, veuillez charger à nouveau la page.)

[2La licence choisie originellement par Mike Solomon est CC-by-sa, je l’intègre ici dans un recueil sous licence Art Libre grâce à la compatibilité du Copyleft.

[3Mon ami Gilles Esposito-Farèse, l’une des deux personnes qui ont lu cet article en entier, m’indique qu’en fait le sieur Fournel n’est président de l’Oulipo que depuis 2003 ; il occupait avant cela (en alternance avec l’éminent Marcel Benabou) la fonction de « secrétaire définitivement provisoire ». Dont acte.

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