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Improvisation sur le nom de Nicolas Graner

pour thérémine et piano

samedi 1er décembre 2012, par Valentin.

Ceci est une trace sonore de ma première tentative de faire de la musique avec un thérémine.

Une fois n’est pas coutume, l’expérience musicale que je vous présente aujourd’hui n’est accompagnée d’aucune partition. Réalisée à l’occasion du cinquantième anniversaire de Nicolas Graner, cette pièce est construite entièrement sur les lettres de son nom et enregistrée par mes soins (et en plusieurs étapes) au piano ainsi qu’au thérémine.

Improvisation sur le nom de Nicolas Graner
Licence Art Libre © 2012 Valentin Villenave

De par sa nature improvisée, il n’existe pas de partition de cet intermède musical. Il ne serait cependant guère difficile d’en reconstituer une, en partant des contraintes détaillées plus bas.

Historique

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Quelques mots sur... Le thérémine

Le thérémine est l’un des tout premiers instruments électroniques. Inventé peu avant 1920 par un physicien russe du nom de Lev Thermen (ou Léon Theremin, suivant les translittérations), il constituait à l’origine un travail purement scientifique : détecter le mouvement et le traduire par des variations sonores. En effet, le thérémine est encore à ce jour, le seul instrument de musique dont on joue sans le toucher ; deux antennes créent un champ magnétique dans lequel chaque geste horizontal ou vertical de l’interprète affecte respectivement la hauteur et l’intensité du son. Et c’est précisément ce que raconte toute l’histoire du thérémine : comment, d’un pur phénomène physique expérimental, aboutir à un geste artistique expressif.

Notre perception de notre propre corps et de nos propres gestes, évidemment, s’est beaucoup modifiée avec l’avènement de moyens de captation de l’image. Photographie, webcams, téléphones-caméras : pour un occidental contemporain, se retrouver « mis en boîte » dans ses faits et gestes n’a rien d’une expérience inhabituelle. Cependant il ne s’agit jamais que d’images, en deux dimensions seulement, et qui restent condamnées à nous rester aussi étrangères et extérieures que tout objet que nous ne pouvons appréhender que par la vue. (Ce qui a d’ailleurs conduit, ces dernières années, à l’apparition d’interfaces de communication ou d’interaction qui qui invitent à se mouvoir dans l’espace, à faire des gestes du bras ou de la main, etc.)

Le thérémine, en revanche, est aveugle. Peu lui importe votre posture ou l’expression de votre visage : seule compte la masse de votre corps, la place et le volume qu’il prend dans l’espace. Les bons théréminstes savent, par exemple, que le simple fait de modifier la capacité de leur cage thoracique (en inspirant et expirant), influe sur la justesse du son : ils apprennent à contrôler leur souffle et à jouer, le plus souvent, en apnée. Rien n’est laissé au hasard : la taille de vos souliers, l’ampleur de vos vêtements, ce que vous avez mangé dernièrement... tout cela se retrouve, à des degrés plus ou moins perceptibles, dans la justesse et dans la technique de jeu — ce qui fait du thérémine non seulement l’un des instruments les plus difficiles à maîtriser (en l’absence de tout repère spacial tel que le manche d’un violon), mais également une véritable discipline en soi, une gestuelle exigeante, précise et mesurée.

Une telle rigueur entre évidemment en tension avec la spontanéité d’un geste purement expressif, mais ce n’est pas tout : afin que le son lui-même soit intéressant artistiquement, il doit être non seulement juste mais aussi bien placé (tout comme un chanteur « place » sa voix) — pour faire chanter le thérémine, il faut donc travailler son vibrato, pas trop resserré mais pas trop ample non plus ; il faut également tenir compte de l’inertie de l’instrument, qui pour impalpable qu’elle soit, n’en est pas moins présente... D’un point de vue technique, le champ du thérémine présente une double non-linéarité : on connaît la non-linéarité des instruments à cordes, où plus l’on monte dans l’aigu plus les intervalles se resserrent ; eh bien le thérémine présente la même chose, dans l’aigu mais également dans le grave. (De récents modèles se présentent comme « linéaires » pour pallier ce défaut ; ils sont hélas hors de prix.)

Le son irréel du thérémine et sa puissance dramatique n’ont pas échappé aux fabricants de musiques de film, à commencer par Bernard Herrmann dans The Day The Earth Stood Still, 1951. Le thérémine y gagnera une réputation indélébilement attachée aux séries B surnaturelles ou à la science-fiction. (On le trouve aujourd’hui dans le générique de l’inépuisable série policière britannique Midsomer’s Murders, « Inspecteur Barnaby » en français.) Les théréministes restent une espèce rare (même si nous avons aujourd’hui le bonheur de disposer d’un infatigable professeur nommé YouTube), et le répertoire savant pour l’instrument demeure restreint : à part quelques pièces de Varèse, Martinu ou Chostakovitch, plus quelques illustres inconnus contemporains-expérimentaux, on se rabattra avec plus ou moins bonne fortune sur du répertoire pour violon, voix ou violoncelle — le grave de l’instrument restant hélas, à mon sens, sous-exploité.

Invention fascinante, le thérémine se confond aussi avec l’Histoire du XXe siècle et avec la vie extraordinairement romanesque de son inventeur. Remarqué avec grand intérêt par Lénine lui-même dès 1920, le thérémine devient l’un des joyaux du bloc soviétique, en une époque où l’humanité presque entière comptait sur ce que l’on nommait encore la « fée électricité » pour résoudre les problèmes du monde. La conjonction de phénomènes électro-acoustiques avec une pratique instrumentale était doublement bienvenue, l’Union soviétique mettant en place son célèbre système d’éducation musicale.

Envoyé en 1927 aux États-Unis d’Amérique pour y présenter son invention, Léon Theremin y devient une célébrité mondaine — Albert Einstein, entre autres, sera envoûté par son instrument — et décide de faire défection au régime soviétique ; déposé comme brevet industriel en 1928 puis fabriqué en série, le thérémine est cette fois destiné aux enfants américains. (Ce sera un échec : la difficulté de l’instrument avait été grandement sous-estimée, et le système éducatif américain faisait pâle figure en regard de son équivalent soviétique.) Cependant en 1938 le professeur Thérémine disparait mystérieusement ; on le présume assassiné par les services secrets soviétiques.

Il n’en est rien : enlevé et rapatrié en grand secret, il est désormais employé dans les laboratoires occultes de Sibérie, où il conçoit du matériel d’espionnage — le microphone-laser que l’on voit encore aujourd’hui dans tous les films d’espions, par exemple, sera l’une de ses inventions. On lui doit également l’incroyable micro-espion dissimulé par le K.G.B. dans le bureau même de l’ambassadeur des États-Unis pendant de nombreuses années, sans fil ni alimentation. Ce ne sera qu’en 1989, après la chute de l’empire soviétique, que le professeur reparaîtra au grand jour et retrouvera notamment la grande théréministe Clara Rockmore qu’il avait formée plus de soixante ans auparavant.

À moins d’un siècle d’existence, le thérémine hérite donc d’une histoire riche et chargée autant esthétiquement que politiquement, bien plus que d’autres instruments plus anciens et plus légitimés. Mais au-delà de toutes lettres de noblesse possibles, son principal obstacle demeure sa très grande difficulté d’exécution, qui le condamnera encore longtemps à rester davantage un jouet bruitiste qu’un instrument de musique à proprement parler.

Quelques mots sur... La liste Oulipo

J’ai déjà présenté l’Oulipo (Ouvroir de Littérature Potentielle), groupe de recherche littéraire fondé il y a plus de cinquante ans et qui continue aujourd’hui ses activités avec une poignée de membres.

S’arrêter à cela, cependant, serait occulter une communauté bien plus large et vivace, qui représente à mon sens l’essentiel de la vie littéraire « potentielle » actuelle : je veux parler, bien sûr, de la liste Oulipo qui compte des centaines d’abonnés, plus d’une quinzaine d’années d’existence, des dizaines de nouvelles contributions chaque semaine. Cette liste n’est pas la liste officielle de l’Oulipo, elle est au contraire ostensiblement ignorée par ce dernier... Et pourtant, c’est l’endroit où j’ai rencontré certains des expérimentateurs les plus brillants, les plus audacieux et, ce qui ne gâte rien, les plus sympathiques, que le monde de la littérature potentielle francophone compte ces dernières années.

La liste est hébergée par l’École Normale Supérieure (ayant été créée jadis par un normalien, puis lâchement abandonnée) ; les archives ne sont malheureusement (et stupidement) pas publiques mais l’inscription est libre et ouverte à tous — pour le meilleur et pour le pire, diront les esprits chagrins. L’état d’esprit communautaire/contributif (celui-là même qui sous-tend Wikipédia ou les logiciels Libres) y fonctionne à pleine mesure, et crée des liens de respect et d’émulation qui ne cessent de faire leurs preuves. Le tout dans la plus pure abnégation : là où les auteurs de l’Oulipo officiel savent pouvoir compter sur une réputation prestigieuse qui leur vaut maintes distinctions sonnantes et trébuchantes, les humbles soutiers de la liste Oulipo restent dans l’ombre et n’attendent d’autre reconnaissance que celle de leurs estimés « co-listiers ».

L’illustration la plus extraordinaire de ce désintéressement m’est fournie par les « BLO » (Bibliothèque List-Oulipienne), parodie des « B.O. » (Bibliothèque Oulipienne), recueils d’envergure modeste publiés régulièrement par l’Oulipo officiel (et distribués commercialement, parfois avec un certain succès). La liste Oulipo a pris, à son tour, l’habitude d’élaborer des recueils, de façon nettement moins régulière et, en général, à l’occasion du mariage ou de l’anniversaire d’un de ses membres éminents. Ces recueils ne sont ni vendus ni même imprimés, sinon en un exemplaire unique qui est remis à son destinataire. Exemplaire auquel s’ajoute bien évidemment, la version librement accessible en ligne — ce qui suffirait en soi à expliquer en quoi je me sens si proche de la démarche list’oulipienne.

Quelques mots sur... Nicolas Graner

J’ai eu la chance d’être associé (de trop loin, sans doute), au seizième volume de cette « BLO », concocté à l’occasion du cinquantième anniversaire de Nicolas Graner, le 1er décembre 2012. Que dire de Nicolas Graner ? Je ne l’ai tout d’abord connu que comme l’un des contributeurs les plus réguliers et les plus marquants de la liste ; j’ai ensuite eu l’occasion de le rencontrer lors des lectures publiques (les « jeudis de l’Oulipo ») à la Bibliothèque Nationale ainsi qu’à une conférence de Richard Stallman où nous avait conviés notre éminent colistier Gilles Esposito-Farese. Et puis, surtout, j’ai visité son site qui contient en particulier quelques démonstrations oulipiennes et lexico-mathématiques amusantes, ainsi que des témoignages particulièrement intéressants sur la rétinite pigmentaire, une maladie dégénérative dont il est affecté.

Cette déficience visuelle de Nicolas nous a amené à des réflexions intéressantes dans le cadre du projet de « BLO » que nous lui destinions : utiliser une mise en page spéciale, avec des polices larges et confortables ? Enregistrer sous forme sonore les contributions qui pouvaient l’être ? Mais alors, que faire de toutes les contributions où le graphisme joue un rôle essentiel : ambigrammes, isocélismes, mots croisés, pinacogrammes ? Et même d’un point de vue plus technique, comment garantir que la version en ligne de ce recueil serait pleinement accessible ?1

Ces préoccupations, dans mon propre cas, prenaient une dimension encore autre : comme je l’ai expliqué souvent, ma pratique de la musique se fait avant tout par l’écrit et par cet objet purement graphique qu’est la partition.2. J’aurais pu, certes, rédiger une partition sous forme de code source : Nicolas est familier avec cette notion, puisqu’il a lui-même publié des danses de la renaissance en notation ABC (un langage primitif dont LilyPond est un peu l’arrière-petit-cousin).

Mais il existait une possibilité encore plus amusante...

Description

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Avertissement : comme toujours, les quelques indications qui suivent ne sont livrées qu’à titre de curiosité, et ne sont pas nécessaires à la compréhension de l’enregistrement !

Comment exprimer des mots au moyen de notes de musique ? La réponse la plus évidente nous est donnée par les pays anglo-saxons, qui désignent les notes de la gamme par des lettres : A pour la, B pour si (bémol en Allemagne), et ainsi de suite. En étendant cette série aux douze notes du tempérament, et en la répétant un peu plus de deux fois (au passage : que ne rétablit-on l’alphabet à 24 lettres ! Sérieusement, qui a besoin du K ou du double-V ?), on obtient toutes les lettres de l’alphabet.

Tout mot se présente donc comme une échelle chromatique non-octaviante, suivant un procédé que j’ai déjà utilisé ici ou . En pratique, cela donne un peu toujours la même chose : il suffit que le mot contienne un E ou un A pour que notre motif soit ancré par un mi ou un la grave, plus quelques échappées vaguement dépolarisantes dans l’aigu. Et dans le cas de notre ami Nicolas Graner, ça ne loupe pas :

C’est là, au passage, que GNU LilyPond prend tout son sens : il s’agit d’un des seuls logiciels d’édition musicale utilisable par des non-voyants. Ce qui me permet d’exprimer l’exemple précédent sous forme de code source :

\language "italiano"                                                 

\relative {                                                      
\ottava #1                                                           
sib''1 _"N"                                                           
\ottava #0                                                           
dod, _"I"                                                             
do, _"C"                                                              
\ottava #1                                                           
do'' _"O"                                                             
\ottava #0                                                           
sold _"L"                                                             
la,, _"A"                                                             
\ottava #1                                                           
sol''' _"S"                                                           
\ottava #0                                                           
\bar "||"                                                            

sol,, _"G"                                                            
\ottava #1                                                           
fa'' _"R"                                                             
\ottava #0                                                           
la,,, _"A"                                                            
\ottava #1                                                           
sib'' _"N"                                                            
\ottava #0                                                           
mi,, _"E"                                                             
\ottava #1                                                           
fa'' _"R"                                                             
}

Ces deux ensembles de notes fournissent aussi bien un motif mélodique (si on les joue successivement), qu’une échelle modale ou harmonique (si on les joue ensemble), dont les possibilités sont ici explorées de diverses façons au piano.

Reprenons donc notre enregistrement :

Le mot « Nicolas », pour peu qu’on le compresse sur une seule octave, nous fournit un « pâté » de notes couvrant presque intégralement un intervalle de triton, de sol à do dièse. Presque intégralement... car le si n’est pas donné. Qu’à cela ne tienne : ce si manquant sera donc ma note pédale, dans le grave, sur un rythme assez primaire, presque processionnel.

Le motif « Nicolas » se déploie ensuite dans sa pleine dimension, sur plusieurs octaves. On note tout de suite les deux seules notes issues de l’échelle anglo-saxonne (c’est-à-dire ici les plus graves) : le do de la lettre C, le la de la lettre A, produisant un balancement « poulencquien » sur une tierce mineure.

Avant d’évoquer la partie de thérémine, je voudrais déclarer très solennellement qu’avec même pas un an de pratique, je ne suis qu’un théréministe extrêmement débutant ! Si de vrais instrumentistes passent par ici, ils trouveront sans nul doute les explications suivantes parfaitement risibles : elles le sont, et j’en suis pleinement conscient.

La partie de thérémine a été enregistrée postérieurement à la partie de piano (bin oui, j’peux pas tout faire à la fois). Comme je l’ai expliqué plus haut, la justesse est un problème majeur de cet instrument ; après plusieurs heures d’efforts infructueux, il est apparu que la seule chance pour moi d’enregistrer une partie à peu près juste, serait de garder un diapason électronique collé contre l’oreille. C’est pour cette seule raison, que la première note que je joue ne pouvait être qu’un la : celui du diapason.

\language "italiano"

\relative {
  la'2~ la8 sol~ \times 2/3 {sol la sol}
  dod2. sib4.~ sib4 do! la2
}

Cette intervention mélodique du thérémine, purement improvisée (et, pour tout dire, totalement à l’aveuglette) passe par toutes les « notes-lettres » du mot Nicolas, dans le désordre, en partant donc de la et en se terminant sur la même note une octave plus bas. Elle donne du coup l’impression d’une polarisation sur cette note (impression que je n’avais ni prévue, ni même entendue en enregistrant la partie de piano) ; ce qui donne à la mélodie un certain lyrisme élégiaque (ou pour parler plus simplement, on a au moins vaguement l’impression de savoir où l’on va).

Mais le véritable projet de la pièce — et la raison pour laquelle j’ai voulu ici employer le thérémine — intervient un peu plus loin, lorsque le thérémine pousse ses longs gémissements en glissando. De quoi s’agit-il ? C’est tout simplement le nom de NICOLAS GRANER, tracé lettre par lettre (en capitales) en l’air, dans le champ du thérémine.

Et c’est là que se trouve à mon avis l’une des promesses les plus intéressantes de cet instrument : en nous invitant à repenser nos gestes, il nous donne également une nouvelle façon de donner à entendre l’écriture, en tant que geste — ce qui, dans le cadre d’une réflexion sur la déficience visuelle et sur la question de « dépasser l’écrit » en tant qu’objet purement graphique, comme je l’expliquais plus haut, prend tout son sens.

Ainsi l’on entendra à partir de 1’16, le nom de NICOLAS (la lettre N commence en trois bâtons bien distincts, et la lettre S s’achève à 2’25 ; la courbe inférieure du S est d’ailleurs presque inaudible à un certain point). Puis le nom de GRANER est donné à partir de 4’08, jusqu’à 4’32.

Alors certes, il y a une part de tricherie dans tout cela : en effet si le thérémine offre une sorte d’illusion bi-dimensionnelle, dans lequel les déplacements de gauche à droite se traduisent par une montée du son vers l’aigu, et les déplacements de haut en bas par une baisse de volume du son, le champ du thérémine n’est pas en deux dimensions mais bien en trois dimensions spatiales, et l’antenne produit un champ non pas strictement cylindrique mais plutôt ovoïde. (En d’autres termes, déplacer sa main de bas en haut n’est pas sans affecter la hauteur, loin de là.) De plus, le thérémine (en tout cas digne de ce nom) ne se joue pas d’une seule main mais à deux mains, les déplacements verticaux étant en principe réservés à la main gauche. Pour tracer une lettre avec sa main droite, il faut donc en même temps se servir de la main gauche pour contrôler les changements d’intensité sonore — et, surtout, pour interrompre le son à la fin de chaque lettre.

Cependant, il me semble que, une fois que l’on connaît la ruse, les lettres successives sont somme toute assez identifiables — et qui plus est, elles nous renseignent même sur la façon dont le tracé s’effectue, avec une certaine charge expressive. On entend ainsi assez distinctement la barre horizontale du A (2’09, puis 4’17) ou les trois barres horizontales du E (4’22), presque guillerettes. Dans certains cas (là où je peux me le permettre), j’essaye de faire aboutir mon geste sur une hauteur significative (par exemple un mi aigu), de transformer ce qui n’est que pur bruitage en un discours ne serait-ce que vaguement musical. (On m’objectera que « le bruit, c’est déjà de la musique » ; à quoi je réponds : « mais bien sûr »).

Quant à la partie de piano, après une première section sur « Nicolas » déjà évoquée, elle module vers la troisième mesure sur « Graner » (la modulation se repère avec l’apparition de la note fa, qui sera plus loin mise en valeur au thérémine) avec un traitement différent, plus harmonique (qui évoquera peut-être le passage mesures 55 et suivantes de ma première Ouverture pour deux pianos) :

\language "italiano"

\relative {
  \time 3/2
  \tempo "Lent"
  <la mi' sol sib fa'>4 q2 q q4 q q
  <sib fa' la mi' sol> q2 q4~ q q
  <la mi' sol sib fa'> q
  <sib fa' la mi' sol> q
  <fa sib sol' mi' la> q2 q2.
}

L’accord « Graner » est ici recomposé de plusieurs façons différentes ; à partir de 4’08 je le joue à nouveau de façon mélodique non-octaviante (les notes une par une et sur plusieurs octaves, pour le dire plus simplement), avec différente recombinaisons — exercice combinatoire totalement improvisé et fort peu rigoureux !

Enfin, le motif « Nicolas » est rééxposé à la fin, avec la scansion de si grave que nous avons évoquée. La dernière phrase du thérémine se poursuit morendo jusque dans l’extrême grave de l’instrument, à cet instant d’une indicible expressivité où le thérémine se charge de toute la poésie ineffable d’un moteur de tondeuse à gazon. La toute dernière intervention du piano reprend le motif mais en sens inverse (on peut dire rétrogradation pour faire plus chic). Histoire de donner une petite touche de finition formelle.

Ce qui me ramène inéluctablement à cette phrase que m’avait dite ma tante un jour : « improviser, c’est donner l’impression que l’on sait ce que l’on fait ».

La réalité étant, bien évidemment, toute autre.

Bonne écoute !
Valentin.


[1De ce dernier point de vue le résultat n’est qu’une demi-réussite, mon ami Gilles Esposito-Farese ayant préféré le « confort » et la familiarité des formats Flash/mp3 aux standards ouverts qui sont aujourd’hui promus — j’ai essayé de ne pas commettre cette même erreur sur mon propre site, même si le lecteur par défaut des navigateurs est moins élégant que certains lecteurs en Flash.

[2Il existe des partitions en Braille, sur lesquelles j’ai été notamment amené à me pencher dans le cadre du logiciel LilyPond mais j’y demeure totalement étranger.

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