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Robert Schumann : Wilder Reiter

jeudi 13 mars 2008, par Valentin.

Dans le cadre de ma série d’articles sur les chevaux, je me devais d’évoquer ce morceau que beaucoup de mes élèves reconnaîtront sans doute...

Robert Schumann (1810- 1856) est un compositeur allemand de l’époque romantique. Sa vie est un récit passionnant, sur lequel nous aurons l’occasion de revenir un de ces jours (dans l’immédiat, n’hésitez pas à suivre le lien pour le découvrir).

L’instrument de prédilection de Schumann est sans conteste le piano, à tel point que même lorsqu’il écrit pour d’autres instruments ou pour l’orchestre, on a toujours l’impression d’une partition pour piano. Parmi ses très nombreuses oeuvres pour piano, l’une des plus connues est l’Algum pour la Jeunesse op.68, un recueil de pièces de difficulté variée, à la fois courtes et très représentatives du style romantique de l’auteur.

La petite pièce que je vous propose a été éditée par Philippe Hézaine pour le projet Mutopia. J’ai gardé le titre français choisi par Philippe, même si, pour être strict, le titre allemand se traduit par Cavalier sauvage (et non pas Le Cavalier sauvage)1.

Wilder Reiter, Robert Schumann

Comme d’habitude, vous trouverez également ci-joints la partition au format PDF, prête à être imprimée, au format MIDI, pour en écouter une version synthétique, et enfin les sources LilyPond (2.11.42).

 Une question d’articulation

Ce qui frappe évidemment dans ce morceau, c’est l’importance de la ponctuation. Tout est joué staccato (piqué), à l’exception de certains endroits bien précis où des notes sont à la fois liées de deux en deux et accentuées : les lettres sf, qui signifient sforzando en italien, impliquent un accent très sonore, mais sans brutalité.

Autant le dire, tout est donc question de contraste dans la ponctuation. Plus vos piqués seront piqués et vos sforzandos accentués, plus votre morceau sera réussi.

Comment réussir ses piqués ? Il y a plusieurs méthodes pour bien articuler le staccato, voici la mienne :

  • veiller à mettre un doigté efficace : par exemple pour la main droite, 1 2 1 2 4 1 2 4 est plus efficace que si l’on mettait des 5 ;
  • garder le poignet bien souple. C’est important pour les deux mains. Si vous tentez de jouer des notes piquées (comme à la m.d.) ou des accords répétés (comme à la m.g.) en bougeant d’un bloc les doigts, la main et le bras, ce sera sûrement très lourd.
  • ne donner du poids que sur les sforzandos. Tout le reste doit être joué très léger, piqué-projeté avec le poignet bien haut et la main très détendue (je donne toujours l’exemple suivant à mes élèves : imagine que tu as la main mouillée, et que tu veux la secouer pour l’égoutter).

Maintenant, vous pouvez aussi avoir votre propre manière de jouer : l’important est que le résultat soit intéressant et que cela ne vous crispe pas.

 Petit parcours (hippique)

Vous aurez remarqué, évidemment, que le morceau commence et finit de la même manière. En fait, c’est même plus que cela : les huit premières mesures sont les mêmes que les huit dernières, et au milieu nous avons huit mesures différentes.

Sachant que les huit premières mesures sont reprises, on a donc

     A   A   B   A

sachant que le morceau fait au total 8x4=32 mesures2.

Il y a mieux. Notez que la partie que j’ai appelée « B » est en fait la même mélodie que la partie « A », mais jouée dans une tonalité différente.

Justement, parlons un peu des tonalités. Intéressons-nous tout d’abord aux huit premières mesures, qui forment la partie « A ». Ces huit mesures se composent en fait de deux petites sections de quatre mesures chacune (nous allons les appeler « a1 » et « a2 », en minuscules), qui commencent exactement pareil mais finissent différemment.

Le motif de chaque partie « a1 » ou « a2 est un arpège en croches, staccato, sur l’accord parfait de tonique : on retrouve les trois notes de l’accord parfait, »la-do-mi« (le morceau est en La mineur). Ensuite, à la troisième mesure, un nouvel accord, également arpégé, »mi-sol#-si" : c’est l’accord de dominante3.4

Et que se passe-t-il à la quatrième mesure ? Eh bien, c’est là que « a1 » et « a2 » sont différents : « a1 » finit sur une note de l’accord de dominante (le si), alors que « a2 » finit sur le tonique (le la). L’effet produit est très différent : « a1 » est une phrase suspensive, alors que « a2 » est une phrase conclusive — c’est d’ailleurs elle qui termine le morceau.

Récapitulons :

a1 (suspensif)  +   a2 (conclusif)  =   A

 Une vraie-fausse modulation

Regardons maintenant la partie « B ». Tout comme « A », elle se compose de deux phrases, l’une suspensive et l’autre conclusive (on pourrait d’ailleurs les appeler « b1 » et « b2 »). Évidemment, c’est un peu différent : la mélodie est maintenant à la main gauche, et dans une tonalité différente.

Quelle tonalité, au fait ? Pour le savoir, prenons les notes de la mélodie et tentons de former un accord parfait : c’est bien sûr « fa-la-do », l’accord parfait de Fa majeur.

Étonnant, ce choix : en principe, la tonalité majeure relative de La mineur n’est pas du tout Fa majeur ! La preuve : en Fa majeur il faut un si bémol à la clé. Si Schumann avait voulu éviter de se casser la tête, il aurait plutôt choisi de faire sa partie « B » en Do Majeur.

Il y a deux raisons à ce choix.

La première est une raison de sonorité. en Do Majeur, la main gauche aurait dû jouer une quarte plus bas, et cela aurait été plus grave, plus lourd.

La deuxième raison est une raison harmonique et musicale. Nous avons dit qu’en Fa Majeur tous les « si » sont bémol.

D’accord.

Mais regardez un peu...

Des « si », il n’y en a pas un seul dans toute la partie « B » !5

Du coup, on se demande si c’est vraiment une modulation (c’est-à-dire un véritable changement de tonalité), ou si ce Fa Majeur n’est pas tout simplement le VIe degré de La mineur ! En effet, la transition entre « B » et « A », pour terminer le morceau, se fait tout naturellement et sans aucun effort...

 Du romantisme classique

On a donc ici un morceau très classique dans sa construction, et bien moins biscornu que certains autres morceaux de Schumann, y compris dans l’Album pour la Jeunesse. Finalement, les seuls indices qui montrent bien que ce morceau appartient à l’époque romantique sont les subtilités harmoniques que nous avons vues, et le rythme de galop ternaire qui, comme je l’ai supposé dans un autre article, semble une caractéristique du premier romantisme allemand.


[1Ce motif du cheval, sur lequel nous avons eu (et nous aurons encore) l’occasion de nous attarder, est également abordé dans une autre pièce très intéressante de l’Album pour la Jeunesse, le n°23, intitulé ReiterStück — c’est-tà-dire littéralement, Morceau d’équitation.

[2Vous aurez noté, au passage, que chacune de ces sections commence par une levée d’une croche : au début du morceau, cela produit même une anacrouse, qui est compensée par la croche manquante de la dernière mesure.

[3Notez le sol dièse, qui sert à former une tierce majeure avec le mi : en effet, même dans une tonalité mineure, la dominante est toujours un accord parfait majeur.

[4À remarquer également, la formulation de la main gauche : à la deuxième et à la troisième mesure, elle enchaîne un accord parfait à l’état fondamental avec une quarte et sixte, qui constitue comme une double broderie, puis revient sur l’accord parfait. Regardez bien l’accord de ré mineur à la troisième mesure : c’est le quatrième degré par rapport à la tonalité de La mineur, j’y reviendrai dans un instant.

[5Eh oui : dans la partie « A », nous avions (très brièvement) un accord du quatrième degré : ici, il est absent, et nous ne verrons donc pas si le « si » aurait été bémol ou bécarre.

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