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Trio

pour flûte, violoncelle et piano

mardi 8 février 2011, par Valentin.

Cette pièce en un mouvement fut écrite et enregistrée en 2003.

J’ai rédigé cette pièce au printemps 2003, peu avant ma petite pièce pour flûte et piano. Le fait qu’un couple de mes amis pratique le violoncelle et la flûte, m’a donné l’idée de cette formation (déjà illustrée par le célèbre trio de Weber) ; cela m’a également permis de m’essayer à quelques techniques d’écriture différentes de ce que je pratiquais alors.

Cette pièce a été crée au Conservatoire de Saint-Maur en mai 2003, par trois de ses (anciens) élèves : Cécile Clouet à la flûte, Sophie Pécriaux au violoncelle, et moi-même au piano. Pour la petite histoire, ce fut la toute première fois qu’une de mes pièces fut jouée en public (ce qui excusera peut-être ma piètre performance d’instrumentiste)...

Voici cet enregistrement (durée : 6'20), précédé de la partition :

Trio pour flûte, violoncelle et piano
Licence CC-by-sa © Valentin Villenave, 2003-2011
Trio pour flûte, violoncelle et piano
Licence CC-by-sa © 2003 Cécile Clouet, Sophie Pécriaux & Valentin Villenave
partie de flûte
partie de violoncelle

Historique

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C’est au mois de juin 2002, que je fus, dans des circonstances homériques, viré de classe préparatoire. Me promettant bien de ne plus jamais remettre les pieds dans un établissement scolaire, je décidai alors de poursuivre par correspondance mes études de lettres supérieures, ce qui me laisserait du temps pour pratiquer le piano — et accessoirement, gagner ma vie par ce moyen.

À la rentrée scolaire suivante, je me retrouvai donc livré à moi-même, en apesanteur. Ayant appris par une amie que le compositeur Éric Tanguy (alors âgé de 35 ans), dont j’avais entendu quelques pièces à la radio, ouvrait une « classe de composition » dans un conservatoire d’arrondissement à Paris, je m’y précipitai et fis rapidement l’apprentissage de quelques principes fort pertinents : ne pas se complaire dans la complexité ou l’ésotérisme (Éric disait « le conceptuel »), être en mesure de pouvoir justifier (y compris à soi-même) ses propres choix, en ayant des politiques d’écriture clairement définies pour les hauteurs, les rythmes, etc.

En un mot, je fis la découverte de toute une nouvelle génération de musique modale, procédé d’écriture dont je pensais qu’il avait disparu avec Messiaen. Langage attirant à beaucoup d’égards : dans ce champ de ruines qu’est la musique (et l’art en général) après le passage du XXe siècle, il est toujours réconfortant de se reconstruire des repères, et de se remettre à écrire de façon logique tout comme le faisaient les compositeurs classiques.

Cette petite pièce pour trio porte les traces de ce travail : je me souviens de l’avoir écrite très rapidement mais avec beaucoup d’application et de rigueur. Je jouais alors beaucoup de pièces de Brahms (notamment les sonates viol/piano, dont j’ai déjà parlé, et le Trio avec cor), qui m’avaient montré que la rigueur structurelle n’excluait aucunement l’expressivité, leçon que j’ai tenté d’appliquer ici.

Étant donné ses consonances (involontairement) un peu exotiques et son écriture modale (qui fait signe vers la génération post-Xenakis, Dusapin et tout ça), après avoir terminé cette pièce j’ai été tenté de lui donner un titre à la noix, du genre Parodos — ceci pour dire à quel point je voulais en faire une pièce « sérieuse ». Cela m’a très vite passé.

Dans un même ordre d’idées, j’ai un temps songé à écrire deux autres mouvements pour en faire un « vrai » trio au sens du XIXe siècle. L’occasion ne s’en est jamais présentée, d’une part parce que les personnes à qui je destinais cette partition ne se sont pas montrées particulièrement intéressées, et d’autre part parce que mon propre style (si tant est qu’il y en ait un) a notablement changé dans les mois suivants — ou plus exactement, s’est rapproché de son chemin initial.

Description

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Avertissement : comme toujours, les quelques indications qui suivent ne sont livrées qu’à titre de curiosité, et ne sont pas nécessaires à la compréhension de la partition !

Harmonies « spectrales »

Comme je l’indiquais plus haut, cette pièce est avant tout modale, avec quelques (très timides) influences spectrales.

Qu’est-ce que la musique spectrale ? Pour faire court, c’est un langage musical qui s’appuie sur des phénomènes acoustiques. Le premier d’entre eux, la série des harmoniques, nous est connu depuis (au moins) le quatrième siècle avant J.C. et a inspiré plus ou moins directement la totalité des langages musicaux occidentaux du dernier millénaire :

Comme vous le remarquerez, cette série naturelle fait entendre des intervalles de plus en plus restreints, et d’autres qui ne sont pas « justes » au sens où nous l’entendons, c’est-à-dire dans un tempérament de douze demi-tons égaux. C’est pourquoi la musique spectrale est généralement un langage micro-intervallique, qui exige des exécutants de jouer des quarts de tons, voire des huitièmes ou même seizièmes de tons !

À ce stade, une réflexion s’impose, et je vais tenter de la formuler de la façon la plus pondérée que je puis, au terme de nombreuses années de réflexion :

Pure.

Foutaise.

Pourquoi foutaise ? Parce que pour séduisant qu’il soit, les compositeurs qui emploient ce modèle ne prouvent en fait qu’une seule chose : c’est qu’ils n’ont pas mis les pieds dans une salle de répétition depuis belle lurette et qu’ils ignorent tragiquement les réalités du métier de musicien.

Même parmi des professionnels1 de bon niveau, vous ne trouverez pas deux violonistes qui puissent jouer exactement le même fa quart-de-dièse. Et le pire, vous savez quoi ? C’est que tout le monde s’en contrefiche. J’ai rencontré des « compositeurs » qui se targuaient d’être en mesure de distinguer à l’oreille des intervalles de l’ordre du douzième de ton ; je n’y crois pas un instant mais même en admettant que tel est le cas, alors ils seraient bien les seuls : le reste des humbles mortels que nous sommes se contentera d’entendre un fa un peu trop haut, sans trop savoir pourquoi il l’est, du reste. À commencer par les musiciens eux-même, qui s’efforcent de jouer délibérément faux pour tenter d’interpréter ce genre de partitions : exercice aussi frustrant qu’incompréhensible.

Quand bien même vous trouveriez des musiciens, car il y en a, qui savent (et aiment) jouer des partitions aussi complexes, alors vous n’écrirez que pour ces élites, et votre musique cessera très rapidement de vivre (en-dehors peut-être de quelques disques destinés à un public snob). Il y a une bonne raison pour laquelle la musique d’après 1960 n’est quasiment jamais jouée dans les conservatoires ou les ensembles « amateurs »2, et il est de la responsabilité des auteurs de ne pas encourager cette tendance.

Bref, le micro-intervalle est laid et je ne l’aime pas3.

Pourtant, la présente pièce fait intervenir quelques quarts de dièses, mais d’une façon plus pratique pour les instrumentistes : ils ne sont jamais attaqués, mais amenés par des glissandos. De fait, il ne s’agit en fait pas de micro-intervalles harmoniques (même s’ils sont justifiés par un principe spectral), mais simplement expressifs. En cela, l’on se rapproche de certains langages non-occidentaux qui utilisent de telles inflexions, comme la musique traditionnelle arabe que j’avais évoquée ici-même.

Sans sortir du tempérament égal, j’utilise d’autres échelles que l’on pourrait qualifier de « spectrales » (à condition de le dire très très vite) : ainsi, par exemple, des grands accords de la section Risoluto.

Harmonies modales

La grande majorité de ce mouvement est donc réalisée avec des échelles modales relativement simples. La plus flagrante est très probablement la gamme 3-1-3-1 (ou l’inverse), mode à transposition limitée relativement peu utilisé au XXe siècle4 et c’est bien dommage : il donne à peu de frais une couleur très jolie, un peu magique.

De fait, la section Calme et étrange de la présente partition se borne plus ou moins à « laisser faire le mode »5. C’est un peu l’inconvénient (ou l’avantage, c’est selon) de l’écriture modale : tout mode dictant sa propre couleur, on se retrouve assez vite à faire ce qu’Éric Tanguy baptisait élégamment « de la purée de mode » — et qui constitue d’ailleurs une composante essentielle de son langage musical. Cette réflexion m’a conduit, plus tard, à formuler une hypothèse selon laquelle il n’y aurait pas de différence intrinsèque entre les notions de gamme, de mode, et d’accord6 ; j’ai l’espoir de pouvoir ainsi échapper à la question de savoir si mon langage doit être « modal » ou non, de même que penser la polarisation comme un phénomène graduel me permet d’échapper à la logique binaire tonal/atonal7.

Pour en revenir au mode 3-1-3-1 (ou l’inverse), je me souviens nettement de l’avoir dérivé, à l’époque où j’écrivais cette pièce, d’une échelle spectrale triturée, mais je serais bien incapable de reconstituer comment aujourd’hui. Il est, bien évidemment, possible de le décrire comme une superposition d’accords de quinte augmentée, ou même d’accords parfaits (Rachmaninov l’emploie d’ailleurs de cette façon dans son Étude-Tableau la plus réussie). Son emploi du motif tierce mineure/demi-ton renvoie à la désinence de la gamme mineure harmonique :

Les quatre dernières notes de la gamme ci-dessus se retrouvent telles quelles dans le mode ci-dessous :

La gamme mineure, tous les élèves le constatent dès la première fois qu’ils la jouent, « sonne arabe » (bien que je ne sois pas sûr que cette impression ait le moindre fondement). Peut-être est-ce là l’explication du sentiment de dépaysement que produit le mode 3-1 (ou l’inverse, vous l’ai-je déjà dit ?).

Pour autant, cette pièce ne fait pas appel qu’à des bidouillages pseudo-spectraux ou de la bouillie modale : on y retrouve par exemple l’accord suivant, auquel j’étais assez accro à l’époque8 (on le trouve notamment dans ma pièce In einem unbestimmten Licht de 2001 et dans la première de mes trois mélodies de 2004, mesure 15).

Enfin, plusieurs passages de la pièce mettent en œuvre des couleurs tonales, en particulier dans les solos de piano (l’exemple le plus caricatural étant mesure 136, mais il y a également la mesure 34 qui est probablement mon passage préféré dans cette pièce).

Écriture rythmique

L’écriture rythmique se ressent de ce côté un peu « orientalisant » qui s’est retrouvé dans ma pièce sans que j’aie vraiment voulu l’y mettre. Ainsi, les petits « groupes » ornementaux, qui font partie de l’écriture idiomatique de la flûte, contaminent les parties de violoncelle et de piano.

Le reste de l’écriture, construit avec des figures très simples (croches et triolets de noires, par exemple), est très proche de ce que l’on peut trouver chez Brahms9 ; en particulier, j’utilise ce que j’appelais (à l’époque) des « faux unissons », par exemple mesure 44 entre la flûte et la main droite du piano, un effet rythmique assez simple à mettre en place mais très efficace et expressif.

Autre procédé utile, la construction formelle fait intervenir des carrures très classiques (souvent de huit mesures, par exemple), mais qui sont toujours trafiquées : une mesure (ou même un simple temps), y est ajoutée ou retranchée pour permettre plus d’expressivité ou de tension.

[Petit ajout : Quelques mois après avoir mis en ligne cette partition (et neuf ans après l’avoir écrite), je me rends soudain compte que le motif de trois notes en ligne brisée qui est donné un peu partout, correspond presque trait-pour-trait au solo de Hautbois à la fin de l’introduction de l’Oiseau de feu d’Igor Stravinsky. Comme quoi on ne peut même pas écrire trois notes sans les pomper quelque part — raison s’il en faut pour laquelle le droit soi-disant « d’auteur » est une escroquerie.]

Pour finir, un mot sur la section Risoluto, écrite en noires et en binaire au violoncelle et au piano : c’est une section sur laquelle je bloquais (pour être plus clair, je n’avais pas la moindre idée de quoi y mettre)... lorsque j’eus la bonne idée d’aller au cinéma voir le film Star Trek : Nemesis, sorti le jour de mes 19 ans. Même si ce film n’est pas resté à la postérité comme un bon film, je me souviens d’avoir été saisi par les premières minutes et notamment par l’entrée de cette espèce de marche10.

Comme quoi.

Esthétique

Soyons franc : j’ai bien du mal, aujourd’hui, à me reconnaître dans cette partition. Peut-être est-ce dû au souvenir mitigé que j’en garde en tant qu’instrumentiste, ou plus probablement à son sérieux (et, pire, son « exotisme ») un peu incongru. Quoiqu’il en soit, je n’arrive pas vraiment à me faire une opinion sur cette pièce — et je n’en serai que plus curieux d’avoir l’avis d’autres instrumentistes ou lecteurs.

Ce n’est pas qu’elle soit mal écrite, au demeurant : j’ai déjà parlé de la logique d’écriture, qui en fait une partition relativement cohérente (enfin, il me semble), et pour cette raison je n’ai jamais été tenté ni de la réécrire ni d’en modifier des passages depuis 2003. Je la trouve relativement simple à lire et à comprendre, sa structure et sa progression dramaturgique apparaissent assez clairement, ainsi que ses gestes musicaux — non dénués d’une certaine expressivité.

Et c’est sans doute là l’explication de ce décalage : je crois avoir rédigé cette partition, à l’âge de 19 ans tout juste, dans l’espoir de prouver (notamment à moi-même) que je pouvais être un « vrai » compositeur. De là les écritures d’apparence compliquée, les suraigus de la flûte, les vraies-fausses influences spectrales.

S’il fut une époque où pour avoir l’air sérieux, un jeune compositeur devait se forcer à « écrire classique »11, j’ai l’impression d’être confronté au paradoxe inverse : pour être pris au sérieux aujourd’hui, il faut « faire contemporain ». Cette question de légitimité est, encore aujourd’hui, une de mes plus grandes préoccupations.

Bref, je crains que cette pièce n’en ait fait les frais.

À vous de me dire.

Bonne lecture !
Valentin.


[1Je hais ce mot.

[2Je hais aussi ce mot.

[3Ce qui ne veut pas dire que je refuse de sortir du tempérament égal : les quarts de ton peuvent, dans de très rares cas, avoir une utilité réelle, et les tempéraments inégaux procurent de vraies richesses harmoniques.

[4Au profit du mode par tons de Claude Debussy et de l’infâme mode 2 de Messiaen et de toute la génération d’organistes tartouilles qui a suivi...

[5Un peu de la même façon, par exemple, que Voiles de Debussy se borne à laisser parler le mode par tons.

[6Juste différents degrés de filtrage et de polarisation, même si c’est un peu plus complexe : on peut notamment réfléchir aux polarisations multiples et aux échelles non-octaviantes — je ne prétends pas inventer ici quelque chose de nouveau, mais je n’ai pas rencontré cette hypothèse formulée ailleurs en des termes équivalents.

[7Ceci pour prouver que faire des phrases compliquées est décidément à la portée du premier venu, pensez-y la prochaine fois que vous écoutez France Musiques.

[8Je ne parviens pas à déterminer d’où sort cet accord, même s’il est assez probable que je l’ai pompé quelque part.

[9C’est d’ailleurs un trait d’écriture que je commençais à adopter à cette époque et dont je ne me suis guère défait depuis.

[10Impériale, suis-je tenté de dire — mais ce serait se tromper de film.

[11À l’âge de 16 ans, Prokofiev décida de publier son « opus 1 », et écrivit à cet usage sa Première Sonate pour piano, qui est souvent décrite comme « une pièce de jeunesse un peu sage ». C’est un contresens : en fait il s’est forcé, dans cette pièce, à dissimuler le style novateur, d’une fantaisie et d’une audace confondante, qui était le sien depuis des années déjà !

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